Caribous de Val-d'Or : des biologistes sont furieux
Vives réactions des scientifiques contre le gouvernement. De nombreuses voix s'élèvent, dont celles de nombreux biologistes, pour dénoncer la décision du gouvernement de relocaliser les caribous de Val-d'Or au zoo de Saint-Félicien.
Le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Luc Blanchette, annonçait vendredi 21 avril 2017 que la harde de caribous de Val-d'Or serait relocalisée au zoo de Saint-Félicien « afin de protéger et d’assurer la survie des caribous forestiers de Val-d’Or », mentionne-t-on dans le communiqué du ministère.
Les biologistes du milieu académique que nous avons consultés, dont certains travaillent depuis des dizaines d'années sur la préservation des caribous, sont unanimes pour condamner le geste.
" Nous sommes estomaqués de voir cette ligne qui a été franchie, et énormément de chercheurs sont troublés de voir le signal que cela envoie ", déclare ainsi Martin Hughes St-Laurent
Jacques Nadeau, relationniste au ministère des Forêts a précisé que les caribous ne seraient pas réintégrés à leur milieu naturel. « Ils vont s'en aller de manière définitive », a-t-il expliqué en entrevue. Or, selon Martin-Hugues St-Laurent, spécialiste du caribou de l'Université du Québec à Rimouski, c'est un non-sens. « Si on souhaitait ultimement les réintroduire lorsque l'habitat va devenir plus favorable dans une quinzaine ou vingtaine d'années, suite à des efforts sur l'aménagement du territoire, les biologistes pourraient saluer cette initiative, explique-t-il. Présentement, c'est un aller simple, ce qui veut dire qu'il y a aucun effort de restauration qui va être fait, puisqu'on va les laisser mourir au zoo. »
Un précédent
« En transférant les caribous de Val-d’Or, le gouvernement avance une vision de conservation des individus alors qu’on devrait plutôt conserver les populations de caribou dans leur habitat, avec leur habitat ", soutient Marco Festa-Bianchet, professeur titulaire au département de biologie de l’Université de Sherbrooke. Il souligne également qu'en 2015, 21 caribous avaient fait leur entrée au zoo de Saint-Félicien et que 19 sont morts depuis.
Les biologistes craignent que cette décision gouvernementale crée un précédent et que le même sort puisse attendre les autres hardes de caribous situés en milieu isolé. « Le ministre laisse sous-entendre que cela ne sera pas le sort du caribou de la Gaspésie et de Charlevoix, affirme M. St-Laurent. Mais ce n'est tout de même pas rassurant de voir qu'on a laissé en connaissance de cause décliner une population en ne freinant pas l'aménagement du territoire. »
L'exploitation des ressources d'abord et avant tout ?
Le déplacement des caribous est prévu pour 2018, mais le ministère affirme que la réserve de biodiversité serait maintenue. « C'est ce qu'on a comme information », a répondu M. Nadeau.
Plusieurs intervenants craignent toutefois qu'une telle décision soit renversée, ou que les règles soient assouplies pour laisser place à l'exploitation des ressources naturelles. « Cela laisse croire qu'effectivement, on va libéraliser l'accès à différents types de perturbations. Qu'on va lever certaines contraintes d'aménagement », redoute M. St-Laurent, tout en précisant qu'il ne peut toutefois pas présumer des orientations du gouvernement, mais qu'il se permet d'émettre des doutes dans les circonstances.
C'est d'ailleurs pour cette raison que le Conseil Régional en Environnement de l'Abitibi-Témiscamingue (CREAT) demande que le ministère rendre publique les documents qui viennent appuyer une telle décision gouvernementale. « Nous ne savons pas si cette décision a été retenue parmi des études produites par des experts, se questionne la directrice générale du CREAT, Clémentine Cornille. Il faudrait que ce soit disponible publiquement.» La Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP) demande elle aussi d'exposer «les fondements scientifiques de cette décision. »
Le biologiste de l'Université Laval, originaire de Malartic, Daniel Fortin, a lui aussi vivement critiqué la décision du ministre. « La pression des industries, notamment forestière et minière, cause certains conflits, souligne-t-il. On ne peut pas simplement protéger les quelques individus qui sont là sans penser restaurer leur habitat. »
Si le ministère avait annoncé la décision de sacrifier la harde de caribous de Val-d'Or pour des raisons économiques, le chercheur aurait davantage compris leur décision, mais ce n'est pas la raison avancée par le gouvernement. « Si le questionnement c'était: étant donné qu'on a des ressources limitées, est-ce qu'on veut investir dans la population de Val-d'Or plutôt que dans une autre, là on pourrait démarrer un dialogue scientifique », croit quant à lui, M. Festa-Bianchet.
Si le territoire était ouvert à l'exploitation, les répercussions sur la faune et la flore pourraient être considérables, d'après l'expertise de M. St-Laurent. « Les besoins en habitat du caribou de Val-d'Or répondent aux besoins d'une quantité impressionnante d'autres espèces et ces espèces-là, on ne va pas toutes les amener au zoo », explique-t-il.
Volonté politique
Selon le CREAT, le gouvernement n'a pas su agir assez rapidement pour préserver la harde de caribous de Val-d'Or. « Certaines mesures plus protectionnistes sont arrivées vraiment tardivement, comme la mise en place de la réserve de biodiversité », déplore Mme Cornille.
Pour M. Festa-Bianchet, le Québec ne suit pas « vraiment un plan de gestion de rétablissement du caribou forestier ». Selon lui, la volonté exprimée ne se reflète toutefois pas dans les actions gouvernementales, alors qu'on assiste à des « initiatives à la pièce ». Une vision que partage M. St-Laurent qui rappelle qu'il y a des lois et des règlements, mais qu'on semble plutôt donner « préférence au développement socioéconomique sur les impératifs de conservation ». « J'ai vraiment l'impression qu'actuellement, on tente de légitimer le statu quo et ce n'est pas une option », tranche-t-il.
Peine perdue ?
Même s'il ne restait qu'une quinzaine de caribous à Val-d'Or, le CREAT estime qu'il serait encore possible de préserver la harde. « Tout espoir n'était pas forcément perdu, mentionne Mme Cornille. Il ne faut pas oublier que le milieu est très fréquenté et que c'est ce qui nuit considérablement au caribou qui n'apprécie pas la proximité avec l'être humain. »
Il aurait fallu les laisser sur place, croit le biologiste, M. Festa-Bianchet. « Le fait qu'il y en ait juste 15 ou 17, ne veut pas nécessairement dire qu'ils vont juste mourir », lance-t-il. La Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP) a également dénoncé l'absence de consultation des communautés autochtones lors de cette prise de décision gouvernementale.
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