Les animaux sont-ils mieux au zoo qu’au cirque ? Le cirque américain Barnum, privé de ses éléphants, met la clef sous le chapiteau. L’occasion de revenir sur l’interdiction des numéros d’animaux sauvages en Belgique.
Alexandre Bouglione tacle Pairi Daisa à ce propos dans la presse. Zoo ou cirque, l’un n’est pas mieux que l’autre pour les bêtes, selon lui. Vraiment ?
Le grand Barnum, c’est fini
Créé en 1871 aux Etats-Unis sous le nom "P.T. Barnum’s Great Circus Museum and Menagerie", le premier cirque Barnum offre 5.000 places réparties sous une énorme tente qui réunit deux - puis trois pistes. "The Greatest Show on Earth" sillonne les Etats-Unis puis l’Europe, dans 80 wagons à plateforme pour embarquer animaux et matériel. Passé de mains en main, le désormais "Ringling Bros. and Barnum&Bailey Circus" est l’objet de plaintes de la part des défenseurs des animaux qui l’accusent de maltraiter les éléphants. En 2010, au terme d’une procédure de neuf ans, le cirque gagne son procès, l’un des plaignants ayant soudoyé un témoin. Mais le mal est fait et la chute des ventes de tickets commence.
En 1995, Ringling Bros. and Barnum&Bailey Circus crée un centre de conservation des éléphants - retirés des spectacles - en Floride.
Mai 2017 : la direction - également à la tête de Disney On Ice - a annoncé récemment que le cirque, qui n’était plus rentable, replierait définitivement le chapiteau en mai 2017.
Non
Alexandre Bouglione, directeur du cirque Bouglione, dresseur – notamment de fauves – pendant trente ans.
" Les animaux sauvages sont interdits dans les cirques, mais "travaillent" dans les zoos. Ce qui serait une contrainte sous chapiteau deviendrait donc éducatif dans un parc animalier ? C’est purement injuste. "
Cela fait presque quatre ans que la loi qui interdit les animaux sauvages dans les cirques est d’application. Comment vous êtes-vous adapté ?
Les animaux sauvages ont été interdits, c’est ce qui s’est passé il y a quarante ans dans toute la Scandinavie. Mais les cirques, comme le Knie, en Suisse, fonctionne très bien, le Cirque du Soleil - qui n’a jamais eu d’animaux - est le plus gros cirque du monde… On a remplacé ça par d’autres numéros spectaculaires. Il y a des jeunes qui viennent au cirque et qui sont plus intéressés par d’autres numéros. Cette année, il y aura l’homme laser, les motos dans les globes. On se modernise.
Les animaux que vous aviez - tigres, éléphants - que sont-ils devenus ?
Je les ai placés dans des zoos. Mes tigres étaient en fin de parcours, ils étaient assez âgés. On ne les a plus fait se reproduire. Mais il y a un problème que je ne comprends pas bien : en ce moment, il y a comme une chasse aux sorcières envers les gens du voyage, les cirques et les forains. On met un peu tout le monde dans le même sac. Il y a des gens qui font très bien ce métier, d’autres qui le font très mal.
Actuellement, on ne peut plus travailler avec des animaux sauvages, mais ça se pratique dans les zoos. Notamment en Belgique. Regardez Pairi Daiza… Même si je n’ai rien contre eux. Il y aurait donc maltraitance quand on dresse des animaux mais seulement dans les cirques ? Dans beaucoup de zoos, il y a des tigres, des éléphants, des perroquets, des otaries, des orques, des dauphins. Chez nous, c’étaient soi-disant des prisons, mais dans les zoos, les prisons sont juste un peu plus grandes, c’est tout.
Un tigre, il lui faut 100 km² pour qu’il vive. Il n’y a aucun zoo au monde qui propose ça. Il faut arrêter de prendre les gens pour des imbéciles. Il n’y a pas une espèce animale qui a disparu à cause d’un cirque. A cause des fourreurs, de l’industrie cosmétique, de la mode, oui. Quand la loi est passée, je suis allé au conseil d’Etat, j’ai gagné. Mais quand j’ai vu que certains continuaient à faire mal leur métier, je n’ai pas insisté. Mais si c’est interdit pour nous, ça doit être interdit pour les parcs animaliers aussi.
Chez nous, c’est une contrainte pour les animaux et dans un parc zoologique, ça devient éducatif ? J’ai vu un reportage récemment où une dame disait "C’est magnifique, il n’y a plus de fouet". Mais ça fait trente ans que je n’ai plus de fouet ! Les gens sont aveugles, ou quoi ? Le fouet, ça claque mais ça ne sert à rien, c’est du show. Je l’ai fait au début, comme tous les jeunes dompteurs. Mais ça ne sert à rien, c’est même plutôt embarrassant.
On a aussi dû vous dire que les animaux étaient transportés, déplacés…
Je fais 500 kilomètres dans l’année, soit dix déplacements. Ce n’est pas énorme. Ce n’est pas le transport qui dérange les animaux. Sinon, il faut arrêter de transporter les chevaux qui vont sur les champs de courses : le cheval non plus n’a pas été fait pour monter dans un camion. Tous les cirques se sont plaints en Belgique, mais j’étais le seul à avoir des éléphants et des fauves. Je vous avoue qu’à l’époque, j’ai eu l’impression que je dérangeais les autres cirques. Personne n’a rien fait pour me soutenir. Mais bon, maintenant, c’est fait. On n’a pas eu une chute de clientèle.
Que vous reste-t-il comme numéros avec des animaux, aujourd’hui ?
J’ai des chameaux, des chiens, des poneys, des lamas et, parfois, j’ai un numéro avec des perroquets. Vous savez, j’ai fait ce métier par passion. Dresser les fauves, ce n’était pas pour gagner de l’argent. J’ai commencé à m’en occuper quand j’étais au pensionnat. Je sortais les samedis et les dimanches. J’ai fait ça entre 14 et 16 ans. A 16 ans, je suis sorti du pensionnat, j’ai travaillé pendant deux ans avec les fauves puis, à 18 ans, je suis devenu dresseur. J’ai fait ça pendant trente ans. Avec des ours, des éléphants, des panthères. Pour moi, c’était une passion. Je passais mes journées dans la cage. J’essayais de comprendre les animaux, j’ai appris qu’il ne faut jamais forcer un animal, qu’il ne faut pas être impatient. J’ai eu des accidents, des petites blessures. Mais dans tous les cas, ça n’a jamais été la faute de l’animal.
Oui
David Williams-Mitchell, communications Manager de l’Association européenne des zoos et aquariums.
" Les enclos des animaux imitent autant que possible leur habitat naturel. Les zoos participent à des programmes de reproduction, de recherche et de sensibilisation à la nature. Rien à voir avec du spectacle ! "
Cirques, zoos: est-ce du pareil au même pour les animaux ?
Non. Les animaux sauvages hébergés dans les meilleurs zoos (dont nos membres) ont beaucoup moins de contact avec les humains, dans des enclos qui imitent autant que possible les conditions de leur habitat naturel. La participation des animaux à des spectacles est autorisée seulement à des conditions strictes (dont l’obligation que le spectacle vise à éduquer le public et que la dignité de l’animal soit respectée et préservée). Une grande partie de la population d’animaux hébergés dans les zoos labellisés EAZA (l’Association européenne des zoos et aquariums) participe à la conservation de son espèce (ex situ et in situ) et les zoos contribuent beaucoup aussi à la recherche zoologique. Si la possibilité existe, les zoos travaillent également avec des organisations comme l’Union internationale pour la conservation de la nature pour réintroduire des animaux dans leur habitat naturel. En résumé, on peut dire que les animaux de zoo participent à des programmes de reproduction, d’éducation et de recherche zoologique, et qu’ils sont les ambassadeurs de leur espèce et de leur habitat. Les zoos d’aujourd’hui visent à sensibiliser le public européen à la nature et à la crise de la biodiversité. Il y a vingt ans, on n’était qu’au tout début de ce processus.
La perception du public a-t-elle changé ?
Le public a bien compris les changements de ces dernières années et prend le temps de s’informer et de visiter les parcs animaliers modernes.
Pouvez-vous donner quelques exemples d’améliorations récentes ?
Nous avons maintenant 400 programmes de reproduction pour des espèces menacées, administrées par des zoologistes avec le soutien d’experts en génétique, dont plusieurs sont le dernier espoir pour leur espèce (par exemple, le programme EEP du tigre de Sumatra : il reste seulement 300 animaux de cette espèce dans l’habitat originel). Pour être membre de notre association, il faut remplir certains critères qui concernent notamment l’hébergement des animaux (nos standards) et le code éthique. Nos membres ont réintroduit beaucoup d’animaux. En décembre, par exemple, via une collaboration avec le ministère russe de l’Environnement, trois léopards perses ont été réintroduits dans un habitat protégé à Sochi.
Reste-t-il de grands défis encore à relever ?
Naturellement, les zoos EAZA veulent aider à la prévention de la crise de la biodiversité (avec la sixième grande extinction des espèces). Nous voulons continuellement améliorer notre connaissance des animaux et des habitats pour donner un soutien optimal aux gouvernements afin d’empêcher cette catastrophe.
Yoan Bertrand a créé Zoonaute, un site (en 2005) puis une association (en 2015) visant à promouvoir les parcs zoologiques. Sa passion pour les grosses bêtes date de son enfance. Un cousin de son père qui travaille au cirque Pinder-Jean Richard l’emmenait alors nourrir les éléphants. Du cirque, il a glissé vers le zoo où il aurait rêvé travailler.
" Voir un animal en vrai a plus d’impact qu’une image sur un écran. Le nombre d’entrées dans les zoos est en constante augmentation mais la mentalité des gens a changé. Plus personne ne veut voir des animaux dans des petites cages ! Les zoos sont obligés de tenir compte de ce changement. Ce qui se fait, notamment concernant les enclos, n’a plus rien à voir avec ce qui se faisait il y a trente ans. C’est le zoo de Londres qui a été le premier à supprimer ses petites cages dans les années 1980. Il y a évidemment de bons et de mauvais zoos, comme pour les cirques. Mais aujourd’hui, il n’est évidemment plus question de scandales dans les grands zoos connus. "
Source :
La Libre Belgique.