Mercredi 7 janvier 2009, je prends le vol de 9h d'Air Arabia pour Doha. Cette dernière est la capitale du Qatar, petit pays de 11 500 km² avec 725 000 habitants, situé à l'ouest des Émirats Arabes Unis. Son économie est fortement basée sur la production de pétrole et le Qatar tient à son indépendance puisque ses dirigeants ont toujours refusé de s'associer aux Émirats Arabes Unis ou à l'Arabie Saoudite voisine. Dans le monde des zoos et de la conservation, Qatar est surtout connu pour l'Al Wabra Wildlife Preservation (AWWP), centre de reproduction privé du Sheikh Saoud Bin Mohammed Bin Ali Al Thani. Ancienne ferme créée dans les années 1970 par le père de ce dernier, Al Wabra est géré scientifiquement depuis 2000 et est membre de l'EAZA depuis 2007. Cette institution n'est néanmoins pas ouverte au public et reste la propriété privée du sheikh.
Le vol de Sharjah à Doha dure moins d'une heure et je suis sur le sol qatarien à 9h puisqu'il y a également un décalage horaire d'une heure. L'oryx d'Arabie a été érigé en symbole du Qatar et, dès mes premiers pas dans le pays, je retrouve des représentations de cet animal un peu partout, d'ailleurs aussi utilisé comme logo de Qatar Airways. Un chauffeur d'Al Wabra m'attend à la sortie de l'aéroport et nous prenons la route vers le centre. Celui-ci se trouve à une quarantaine de kilomètres à l'extérieur de la ville, en plein désert, et il nous faut une bonne heure pour l'atteindre. Sur la route, je suis déjà surpris de trouver une forte présence policière, un véhicule de police, voire même deux, se trouvant à quasiment chaque rond-point et tous les deux ou trois kilomètres sur l'autoroute. Les voitures de patrouille sont d'autant plus visibles qu'elles sont rouges !
Arrivé à l'Al Wabra Wildlife Preservation, je suis accueilli par Catrin Hammer, la curatrice des mammifères ; j'avais déjà eu l'occasion de la rencontrer lors de la dernière conférence de l'EAZA à Anvers (Belgique). Elle me donne rendez-vous à 13h30 pour une première découverte du centre. La personne en charge de l'administration me guide jusqu'à mon logement, qui est une véritable villa, située aux abords du centre, et faisant partie du complexe où est logé tout le personnel. A midi, un repas particulièrement copieux m'est aussi apporté ! Je me repose encore un peu avant de rejoindre les bureaux à l'heure indiqué. Je rencontre Dr Sven Hammer, directeur de l'Al Wabra Wildlife Preservation, et également en charge des services vétérinaires. Celui-ci m'explique les différentes consignes générales et me fait signer quelques papiers d'assurance. Catrin Hammer m'emmène ensuite découvrir les espèces dont elle s'occupe. En prévision de ma visite, j'avais un peu étudié la liste des animaux présents, mais les voir aujourd'hui en chair et en os reste une surprise mémorable ! Nous nous dirigeons d'ailleurs de suite vers les beiras (Dorcatragus megalotis), magnifique espèce d'antilope africaine, dont la seule population captive connue est maintenue ici. Nous nous approchons à quelques mètres à peine d'une femelle accompagnée de son petit de quelques semaines. Une trentaine de beiras vivent aujourd'hui à Al Wabra et se reproduisent avec un relatif succès. Cela reste tout de même une espèce très délicate, à la fois sur le plan alimentaire, mais aussi sur le plan sanitaire, et la population semble d'ailleurs touchée depuis 2005 par une étrange maladie, dont la cause exacte reste encore inexpliquée.
Nous poursuivons la visite et c'est encore l'occasion de découvrir plein d'autres espèces nouvelles pour moi. Le centre de reproduction des ongulés regroupe une centaine d'enclos fonctionnels, reliés par divers couloirs et sas, et hébergent la plupart des groupes d'herbivores du centre. J'y observe des gazelles indiennes (Gazella bennettii fuscifrons), des gérénuks (Litocranius walleri sclateri), de superbes gazelles de Soemmerring (Nanger soemmerringii berberana), des gazelles à front roux (Eudorcas rufifrons), des gazelles à cou roux (Nanger dama ruficollis) et diverses espèces un peu plus courantes, tout au moins dans les zoos du Moyen Orient, telles que des gazelles de Speke (Gazella spekei), des gazelles à goitre des deux sous-espèces, Gazella subgutturosa marica et Gazella subgutturosa subgutturosa, des oryx beisa (Oryx beisa), des oryx d'Arabie (Oryx leucoryx) et des addax (Addax nasomaculatus)... L'Al Wabra Wildlife Preservation héberge également quelques antilopes cervicapres (Antilope cervicapra) totalement blanches ! Nous traversons en voiture un des deux enclos où sont regroupés les mâles en surplus, puis nous dirigeons vers un autre enclos où vivent environ 80 gazelles de Pelzeln (Gazella pelzelni), originaire de Somalie, et quelques gérénuks. La végétation de buissons et d'arbustes évoque fort bien le milieu naturel de ces espèces ! Nous passons encore par les installations des ânes sauvages de Somalie (Equus africanus somalicus), une des espèces favorites de Catrin Hammer. Un groupe reproducteur d'une dizaine d'individus prospère ici.
Pour terminer le tour, Catrin m'emmène voir les dernières espèces à sa charge, majoritairement des félins. Les chats des sables (Felis margarita harrisoni) se reproduisent ici avec beaucoup de succès et 22 individus sont aujourd'hui hébergés. Plusieurs animaux sont d'ailleurs fournis chaque année au programme européen d'élevage. Un caracal (Caracal caracal caracal) et deux chats des marais (Felis chaus) se trouvent dans les cages voisines, bien que ces espèces ne soient pas une priorité d'élevage du centre. Les derniers chacals dorés (Canis aureus) ont d'ailleurs été envoyés dans plusieurs zoos, dont certaines européens, il y a quelques mois. Tout à côté, les installations des guépards sont en train d'être améliorées pour pouvoir envisager la reproduction de cette espèce intéressante, plus particulièrement la sous-espèce soemmeringii. Cinq animaux de cette sous-espèce sont déjà présents, ainsi qu'un couple de guépards royaux. Finalement, Catrin Hammer et son équipe s'occupent aussi de quelques reptiles, dont plus d'une centaine de tortues-léopards du Cap (Geochleone pardalis babcocki).
A 16h30, Catrin me présente à Ryan Watson, en charge de l'élevage des aras bleus. Je l'accompagne pour la sortie quotidienne de trois jeunes aras hyacinthes (Anodorhynchus hyacinthinus). Cette espèce se reproduit depuis peu à Al Wabra ; les premiers petits furent élevés à la main, ce qui ne fait habituellement pas partie des protocoles d'élevage à Al Wabra, puisque le but recherché est une population viable d'individus ayant des comportements naturels. Néanmoins, l'élevage à la main est parfois utilisé pour permettre d'augmenter rapidement une population en faible effectif ou pour pallier à des problèmes d'élevage des parents. Trois des jeunes aras hyacinthes ont été entraînés pour pouvoir être sortis chaque jour et avoir ainsi une séance de vol libre de plusieurs dizaines de minutes. C'est un réel plaisir de les voir ce soir évoluer librement entre les palmiers du parc, se poser dans les arbres puis revenir vers nous pour quémander un peu de nourriture. Avant de rentrer aux bureaux et de terminer la journée, Ryan me montre encore rapidement quelques jeunes aras de Lear (Anodorhynchus leari) nés à Al Wabra. Les couples originels ont été prêtés par le gouvernement brésilien et Al Wabra Wildlife Preservation participe de façon très active à la préservation de cette espèce dans la nature. De retour dans mon logement, je prends quelques notes suite à toutes mes observations de la journée. Je suis invité chez les Hammer pour le dîner et la soirée est riche de discussions passionnées !
Jeudi matin, je me réveille de bonne heure et suis dans les cuisines de l'Al Wabra Wildlife Preservation à 5h30. J'assiste à la préparation des portions alimentaires pour tous les oiseaux du centre. En effet, en sus de l'importante collection de mammifères que j'ai pu découvrir hier, l'AWWP maintient et reproduit avec succès de nombreuses espèces d'oiseaux. Chacune a ses habitudes alimentaires bien particulières et je suis surpris de la rapidité des soigneurs à préparer ce matin tous ces plats si divers et variés. J'accompagne ensuite le curateur des oiseaux pour découvrir le service qu'il a à charge. Les installations des oiseaux sont constituées de nombreux bâtiments d'élevage fonctionnels, où une hygiène rigoureuse est observée. Chaque structure intérieure correspond à une spacieuse volière extérieure abondamment plantée. En sus, une grande volière de contact d'environ 2000 m² est le lieu de vie de plusieurs espèces et de certains animaux en surplus.
Dans un coin du centre de reproduction des antilopes, un couple d'autruches à cou rouge (Struthio camelus camelus) et leurs rejetons sont également élevés ; cette sous-espèce est particulièrement impressionnante par sa taille et par le cou rouge des mâles adultes. Quelques volières secondaires sont parsemées dans le parc et abritent diverses espèces, comme des ibis, des spatules, des flamants ou des pintades. Des pintades vulturines, quelques flamants, des jabirus d'Afrique et une colonie de marabouts d'Afrique, qui se reproduit avec succès, sont également laissés libres dans les allées. Un seul bec-en-sabot du Nil (Balaeniceps rex) vit à Al Wabra et il est actuellement envisagé de le transférer dans un zoo européen pour un prêt d'élevage. Six espèces de paradisiers, étranges et rares animaux originaires de Nouvelle-Guinée, vivent également à l'AWWP et forment une des plus importantes collections de ces oiseaux au monde. Cinq d'entre elles sont reproduites avec succès et une est même représentée par les deux sous-espèces connues. Nous observons donc successivement des paradisiers grand-émeraude (Paradisaea apoda apoda & Paradisaea apoda novaeguineae), des paradisiers petit-émeraude (Paradisaea minor), des paradisiers rouges (Paradisaea rubra), des paradisiers multifils (Seleucidis melanoleucus), des paradisiers royaux (Cicinnurus regius) et un paradisier magnifique (Diphyllodes magnificus). Plusieurs couples de jardiniers du Prince d'Orange (Sericulus ardens) vivent également à Al Wabra.
Vers 8h, alors que le soleil commence à inonder de lumière les différentes volières, je passe quelques dizaines de minutes dans la grande volière de contact pour observer et photographier les espèces qu'elle contient. J'ai la chance d'assister à la parade nuptiale des paradisiers grand-émeraude, dont plusieurs mâles vivent ensemble ici. A 9h, je remercie le curateur des oiseaux pour le temps qu'il m'a consacré ce matin et toutes les explications qu'il m'a fournies. Je prends un copieux petit-déjeuner puis rejoins les bureaux où un chauffeur m'attend pour m'emmener au Doha Zoo, le parc zoologique municipal de la capitale.
Vendredi 9 janvier, je me réveille vers 6h pour profiter encore pleinement de ma dernière journée à l'Al Wabra Wildlife Preservation. Je vais me promener dans le parc pour apprécier l'ambiance matinale. Les pintades courant dans la brume me rappellent fortement l'ambiance africaine. La lumière du matin est très propice à la prise de photographies et j'approche avec discrétion les différents groupes de gazelles. A 8h30, je retrouve l'assistante curatrice des mammifères ; elle travaillait au Singapore Zoo avant son arrivée au Qatar. Je l'accompagne dans sa tournée matinale des différents secteurs durant laquelle elle prend des nouvelles de chaque soigneur et des animaux à leur charge. C'est l'occasion de découvrir encore quelques espèces que je n'avais pas vues jusqu'à présent, comme ces deux gazelles d'Arabie mâles (Gazella gazella erlangeri), sous-espèce au pelage particulièrement foncée. J'observe aussi quelques uns des diks-diks de Salt (Madoqua saltiana phillipsi), qui se reproduisent avec grand succès à Al Wabra.
A 11h30, Sven Hammer fait une présentation générale de l'Al Wabra Wildlife Preservation à mon intention et à celle de deux étudiantes vétérinaires, arrivées il y a peu au Qatar. J'en apprends encore plus sur les programmes de conservation initiés grâce à l'AWWP et sur les divers succès de reproduction ex situ. De nombreuses recherches scientifiques, à propos de sujets très divers, sont poursuivies au sein du centre. Après un court repas et la rapide préparation de mes affaires, je retrouve Ryan Watson qui m'emmène enfin découvrir les aras de Spix (Cyanopsitta spixii), peut-être une des espèces les plus emblématiques de l'AWWP. Suite à l'extinction dans la nature de cette espèce en 2000, le Sheikh Saoud Bin Mohammed Bin Ali Al Thani décida de regrouper une population captive reproductrice, en acquérant les divers individus parsemés dans plusieurs collections privés, majoritairement en Suisse et aux Philippines. En étudiant précisément la biologie de cette espèce, les premières reproductions purent être obtenues en 2004.
Actuellement, une cinquantaine d'aras de Spix vivent à Al Wabra, dont une quinzaine sont nés en captivité. La prochaine étape est, bien sûr, la réintroduction dans le milieu naturel et, dans ce but, de grandes propriétés brésiliennes ont été acquises récemment par le sheikh. Une sensibilisation de la population locale et une préparation du terrain sont actuellement déjà en cours. Une étape prochaine pourrait être le rapatriement de quelques aras au Brésil sur ce domaine et le démarrage d'un programme de reproduction sur place, qui pourrait voir les futurs rejetons relâchés dans la nature. Néanmoins, la faible diversité génétique des individus captifs et diverses maladies sont toujours une menace importante pour cette espèce. A 15h, alors que je reprends la route vers l'aéroport international de Doha, je croise rapidement le Sheikh Saoud Bin Mohammed Bin Ali Al Thani venu aujourd'hui dans les bureaux pour assister à la présentation annuelle de toute l'équipe de l'AWWP. Je me balade encore dans l'aéroport en attendant le vol d'Air Arabia de 18h35 qui me ramène vers Sharjah et le BCEAW. Ces trois journées à l'Al Wabra Wildlife Preservation furent très marquantes et riches en découvertes et apprentissages. C'est vraiment un lieu unique où les concepts de "reproduction en captivité", "recherches scientifiques" et "conservation" prennent tout leur sens.
Voir aussi Rapports hebdomadaires de mon stage 2008/2009 au Sharjah Desert Park