Pas encore la liberté pour l’éléphante Happy
L'affaire de l'éléphante Happy, détenue par le zoo du Bronx (New York), est devenue un grand enjeu du droit animalier, avec la question de la reconnaissance d'une personnalité "non humaine" aux animaux. Elle n'a finalement pas été tranchée pour une question de procédure. Le débat reste donc ouvert, décrypte pour France-Soir Jean-Marc Neumann, juriste en droit de l'animal à l'université de Strasbourg.
Ainsi que je l’avais précisé dans mon billet du 27 novembre 2018, le sort de l’éléphante Happy âgée de 47 ans devait se jouer lors de l’audience du 14 décembre devant la Cour Suprême de New-York, Comté d’Orleans.
Allait-elle être reconnue comme "personne non humaine" (ce qui aurait fait de Happy le premier pachyderme au monde à se voir reconnaître la personnalité juridique) et être transférée vers un sanctuaire ?
Tels étaient les enjeux de l’audience au cours de laquelle le zoo du Bronx était, avant tout, appelé à se justifier sur les raisons de la détention de Happy.
La juridiction a écouté les arguments développés durant une vingtaine de minutes par Steven Wise président du Non human Rights Project (NhRP) selon lesquels Happy est emprisonnée illégalement par le zoo du Bronx et qu’un être capable d’agir de façon autonome tel que Happy est une personne non humaine jouissant du droit fondamental à la liberté reconnu par l’habeas Corpus.
Steven Wise a, notamment, invoqué le fait que la loi de l’Etat de New-York reconnaît implicitement les animaux de compagnie comme personnes morales pouvant bénéficier d'un "Pet trust" et que les tribunaux de New York, y compris un juge de la plus haute instance judiciaire de New York, ont récemment déclaré que la personnalité juridique au bénéfice de non humains constitue " un dilemme éthique et politique qui appelle notre attention ".
De son côté, la Wildlife Conservation Society, qui exploite le zoo du Bronx a soutenu que le NhRP ne fait état d’aucune violation d’une loi sur la protection des animaux, que le zoo n’a pas l’intention de transférer Happy vers un sanctuaire et que l'affaire doit être transférée à la juridiction compétente du comté du Bronx où se trouve le zoo (qui affirme qu’il n’y a aucun lien entre le litige et le Comté d'Orléans devant lequel la procédure a été introduite).
Le NhRP y a répondu en affirmant 1) que sa procédure n’est pas fondée sur une quelconque violation d’une loi sur la protection animale mais sur l’emprisonnement illégal d’une personne non humaine et 2)s’agissant de l’argument selon lequel la juridiction du Comté d’Orleans serait incompétente , que le zoo ne cite aucun cas de jurisprudence d’habeas Corpus qui exige l’existence nécessaire d’un lien entre le litige et la Comté d’Orleans.
Le NhRP a affirmé que conformément à la procédure d’habeas corpus de l’Etat de New York, il peut introduire une telle procédure devant la juridiction de tous les comtés de l’Etat peu importe le lieu où se trouve la personne emprisonnée. Le NhRP a précisé avoir délibérément choisi le Comté d’Orleans car ce dernier est rattaché au quatrième département judiciaire de l’Etat qui avait jugé que la personnalité juridique n’était pas nécessairement liée à la qualité d'être humain.
Après une déclaration plutôt singulière de la part de la juge Bannister (" j’ai toujours aimé les éléphants " -sic-), cette dernière a indiqué qu’elle envisageait de faire droit à la requête du défendeur (le zoo du Bronx) selon laquelle l’affaire devait être jugée dans le Comté du Bronx.
La position de la juge Bannister est décevante. Le NhRP espérait avoir une oreille favorable en la personne de la magistrate et que l’affaire serait rapidement tranchée.
Ceci étant, il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un échec mais d’un aléa de procédure qui ne préjuge en rien de la suite. Le NhRP considère déjà comme une victoire le fait que la juge ait accepté de délivrer un mandat d’habeas Corpus au profit d’un éléphant, ce qui constitue une première mondiale.
Le NhRP attend désormais de recevoir copie de l’ordonnance qui sera rendue par la Cour suprême de New-York Comté d’Orleans.
Si, ainsi que l’a envisagé la juge Bannister à l’issue de l’audience, la Cour suprême du Comté d’Orleans se déclare incompétente et transfert l’affaire au Comté du Bronx, le NhRP devra se déterminer entre plusieurs options:
- laisser l’affaire être plaidée dans le comté du Bronx;
- engager une procédure devant une juridiction d’un autre Comté;
- interjeter appel de la décision devant la Cour d’Appel du 4ème département à Rochester.
Le choix entre ces options sera effectué par le NhRP d’ici fin janvier 2019.
Pas de décision quant à la reconnaissance éventuelle de la personnalité juridique de Happy et de sa libération à attendre dans cette affaire a priori avant le printemps 2019!
Durant des décennies (depuis les années 1970) les juristes en droit animalier ont engagé toutes leurs forces dans des actions ayant pour objet de renforcer les lois de protection animale (Welfare Laws) ou de proposer de nouvelles lois garantissant le " bien-être " des animaux.
C’est la raison pour laquelle certains juristes en droit animalier dont Steven Wise, ont décidé d’enclencher la vitesse supérieure car ils se sont rendu compte que renforcer les lois de protection animale ou de bien-être animal n’est pas suffisant.
Les lois de bien-être animal ne permettent pas d’éviter à certains animaux très évolués, tels les grands singes, éléphants ou cétacés, d’être " détenus " ou " emprisonné s" et " exploités ", notamment par des zoos, cirques et delphinariums.
Afin de permettre à ceux-ci de ne pas pouvoir être emprisonnés et d’être " libérés " (en fait d’être transférés vers des sanctuaires),la reconnaissance de leur personnalité juridique est nécessaire.
C’est précisément tout le combat du NhRP qui ne veut plus que de tels animaux soient traités aux Etats-Unis comme des biens mais comme des personnes jouissant de certains droits fondamentaux dont celui de ne pas être emprisonné.
Et cette voie engagée par les juristes en droit animalier n’est pas propre aux Etats-Unis. Des juristes dans d’autres pays poussent en ce sens.
En France, des universitaires, en particulier Jean-Pierre Marguénaud de l’Université de Limoges, Caroline Regad, Cédric Riote et Sylvie Schmitt de l’université de Toulon sont d’ardents promoteurs de l’idée reprise et soutenue par la Fondation 30 Millions d’amis.
Accorder la personnalité juridique à des animaux ne pose pas en soi de difficulté au plan de la technique juridique puisque des " personnes non humaines " en bénéficient déjà (société, associations, syndicats, comité d’entreprise…).
Si l’idée d’accorder la personnalité juridique aux animaux est séduisante, elle pose néanmoins des difficultés de trois ordres:
- difficulté politique: il faut une volonté politique pour que l’idée fasse son chemin ;
- compréhension par le "public"; il faut bien expliquer que les animaux ne jouiront pas des mêmes droits qu’une personne humaine. Ils bénéficieraient de droits propres à leur espèce et à leur nature.
- la " sélection" des espèces " élues : quels animaux ? Il s’agit là d’une difficulté majeure que l’être humain risque fort de trancher de façon incohérente. S’agira-t-il seulement de ceux proches morphologiquement et génétiquement de l’être humain (grands singes) et/ou des animaux de compagnie les plus proches "physiquement" (chiens, chats) et/ou de tous les animaux qui ont de grandes capacités cognitives?
Je crains que l’être humain procède à une sélection en fonction uniquement de ses intérêts ou de ses critères de valeur et n’adopte pas une position cohérente et objective.
C’est sans doute la question essentielle qu’il appartient aux promoteurs de la personnalité juridique de résoudre.
En fin de compte, la question est de savoir en vertu de quoi, un chimpanzé, un chien, un chat ou un éléphant pourraient-ils bénéficier d’une personnalité juridique et non un lion, un lama ou un perroquet ?
Source :
France Soir.