ENQUÊTE. Zoo de Pont-Scorff : du projet Rewild à la liquidation judiciaire, les raisons d’un échec
Le rachat médiatisé du zoo de Pont-Scorff par une alliance d’ONG, fin 2019, a tourné au naufrage. Aujourd’hui, il est en liquidation. La vingtaine de salariés et les 400 animaux sont dans l’attente d’un repreneur. Chronique d’un échec annoncé.
Le rachat du zoo de Pont-Scorff par une alliance d’ONG, fin 2019, a tourné court. Retour en sept points sur cet échec, terriblement humain, lié à une série d’impréparations, de désaccords et de stratégies hasardeuses.
1. Un coup de théâtre médiatique
L’idée reste toujours séduisante et dans l’air du temps, avec sa part d’utopie : racheter un zoo pour en libérer ses animaux. Lorsqu’en décembre 2019, le journaliste Hugo Clément relaie sur les réseaux sociaux un appel à la générosité publique pour racheter celui de Pont-Scorff, en décrépitude, le coup de com' est international. Une coalition de sept ONG (Sea Shepherd, Centre Athénas, Le Biome, Hisa, One Voice, Wildlife Angel et Darwin écosystème) nommée Rewild s’empare de cette occasion unique de montrer au monde qu’on peut réintroduire dans leur milieu naturel des animaux captifs. La cagnotte est un succès : plus de 700 000 € collectés en cinq jours, par 23 000 donateurs de 67 pays, dont Marc Simoncini, fondateur de Meetic qui verse à lui seul 250 000 €.
Un an et demi plus tard, le « réensauvagement » (d’où le nom Rewild) n’a jamais eu lieu. Aucun animal n’a pu, à ce jour, être rendu à la vie sauvage. L’ancien zoo a été placé en liquidation judiciaire le 29 mars 2021, à cause de grosses difficultés financières, avec une poursuite d’activité de trois mois pour trouver une solution de reprise. Pendant ce temps, deux clans revendiquent la paternité et l’identité de Rewild, se déchirent, publiquement depuis février. « Inévitable », « c’était écrit d’avance », comme le disent certains détracteurs du projet ?
2. Le réensauvagement, un projet complexe
Dès le rachat, les intentions de Rewild ont provoqué autant d’enthousiasme que de circonspection. « Utopique », estimait Rodolphe Delord, directeur du zoo de Beauval et président de l’Association française des parcs zoologiques (AFDPZ). « C’est complexe, long et risqué de réintroduire des animaux captifs ». « Inquiétant », analysait même l’association européenne des zoos et aquariums, soulignant que « l’investissement requis pour réintroduire chaque animal de Pont-Scorff s’élèverait à des millions d’euros », avec des taux de mortalité élevés, les animaux ayant passé énormément de temps en captivité.
Karine Demure, bénévole issue de Sea Shepherd, est en charge des projets de « réensauvagement ». Depuis 8 mois, avant le redressement, elle tentait, avec des experts, de trouver des solutions en fonction des espèces et des individus. « Certains animaux pourront être relâchés, d’autres non ». Elle visait les premiers départs d’animaux à partir du mois de mai 2021.
Rewild oppose à ses détracteurs leur partialité et leur intérêt à voir leur projet échouer puisqu’ils « font commerce de la captivité des animaux ». Dialogue impossible. La tension ne retombera pas. En matière de communication, la stratégie radicale de Rewild ne fait que commencer.
3. Une coalition très fragile
Mais qui compose Rewild justement ? Question simple, réponse complexe. L’association se présente comme une coalition d’ONG spécialisées dans la défense, la sauvegarde, la saisie et la réhabilitation des animaux. Les désaccords d’orientation ont provoqué des défections. Pour certaines très rapides, comme celle de Wildlife Angel pour qui Rewild repose sur un engagement irréaliste.
Bilan : des sept ONG initiales, il n’en restait que deux à bord lors du redressement judiciaire, le 23 février. La plus connue : Sea Shepherd, l’ONG de défense des océans. La seconde : le Biome, projet de station d’élevage et de conservation dans les Landes, qui n’a jamais vu le jour. La première a mis à contribution un réseau, des bénévoles et des gros moyens (500 000 €). Mais elle n’avait « aucune maîtrise », « aucun pouvoir de décision » sur la gestion de la SARL Bretagne zoo. Laquelle était assurée par Jérôme Pensu, créateur controversé du Biome.
Les dettes n’ont cessé de se creuser et les deux derniers acteurs ont fini par divorcer, au terme d’un audit. Désormais, sur les réseaux sociaux, il y a deux Rewild. Rewild tout court, derrière lequel on retrouve Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France. Et « Rewild Rescue Center », avec Jérôme Pensu, des soigneurs, soutenus par le Centre de soin Athénas. Bref, Dallas dans un zoo.
4. Un gérant providentiel devenu « erreur de casting »
Le choix de placer une personnalité aussi forte et radicale que celle de Jérôme Pensu à la tête du projet est aussi source de vives critiques. D’homme providentiel, il est devenu « l’erreur de casting », « le pire ennemi de Rewild », selon Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, qui le portait aux nues un an et demi plus tôt.
Cet homme se montre au service d’une mission, « depuis 1991 » : la gestion des animaux saisis issus du trafic. L’autre objectif affiché par Rewild est en effet de transformer le parc en centre de réhabilitation des animaux sauvages sauvés du trafic.
Le moins que l’on puisse dire est que son parcours est semé d’inimitiés avec ses anciens employeurs ou partenaires, qui ne veulent plus en entendre parler. Le Biome, son projet de « station zoologique d’élevage spécialisée dans la reproduction d’espèces exotiques en danger d’extinction » dans les Landes, est une coquille vide. Après un premier échec à Soustons en 2011, le projet avait resurgi en 2015, avec l’intégration d’une maquette de baleine bleue grandeur nature. Il n’a jamais ouvert à Pouydesseaux. Il avait pourtant reçu des promesses de finances publiques et privées.
Pour Jérôme Pensu, la fédération des chasseurs landais (FDC40) a fait « perdre un investissement collecté de 3 millions d’euros » en ne mettant plus à disposition le terrain promis.
« L’histoire se répète. Il se victimise et rejette sur autrui la responsabilité de ses propres échecs », estime son associé principal jusqu’en 2016, Enrique Petit. Le projet aurait capoté à cause d’un désaccord avec la FDC40, propriétaire du terrain prévu pour le Biome. Jérôme Pensu avait noué des liens avec cette fédération en 2003 lors de la marée noire du Prestige et collaborait bénévolement avec elle depuis 2010, en tant que capacitaire d’Alca Torda, centre de soin pour animaux sauvages de la fédération.
La fédération est toujours en procédure juridique contre lui au tribunal administratif (pour la promesse de bail emphytéotique du terrain pour le Biome) et vient de gagner face à lui aux prud’hommes (Jérôme Pensu revendiquant la qualité de salarié). « On a vécu un peu la même chose que Rewild, en moins médiatique, confie Régis Hargues, directeur de la FDC40, qui explique qu’un « climat de défiance avait commencé à s’installer avec lui. On n’a pas souhaité continuer. »
Avant le Biome, ce « soigneur animalier de la faune sauvage en difficulté », comme il se décrit, a aussi géré, pour l’association Bretagne vivante, l’unité mobile de soin des oiseaux mazoutés de Theix, qu’il a conçu après la marée noire de l’Erika, de janvier 2000 à avril 2003. Là aussi, rupture douloureuse. Licencié économique, il a obtenu gain de cause sur le paiement de 1 690 heures supplémentaires en 2007. L’association a dû lui verser 70 000 €. Et l’unité mobile de soins, qui avait trouvé des financements pour démarrer, n’a finalement jamais été fonctionnelle.
Aujourd’hui, Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, déchante aussi. « Au début, j’ai vu l’énergie débordante, le pédagogue, le bon orateur. Puis j’ai entraperçu une mégalomanie. Aujourd’hui, je vois un manipulateur. Il a le don d’arranger la vérité. Et cultive le syndrome de la persécution et de la victimisation. » Depuis la scission, elle s’est désolidarisée, tout comme l’avocat de Sea Shepherd, des plaintes déposées, entre autres, contre le directeur de la DDPP (abandonnée depuis), les Thomas, la famille propriétaire des terrains du zoo.
Ces critiques, Jérôme Pensu les connaît. « Ça fait 30 ans que des gens essaient de me salir. Chasseurs, parcs zoologiques, police de l’environnement… Ils valident l’utilisation des animaux saisis. »
5. Une stratégie de communication agressive
La stratégie de communication de Rewild avec le monde extérieur est aussi source d’interrogations. Loin de vouloir jouer la séduction, elle a consisté à se braquer systématiquement. Toute critique extérieure était perçue comme une déclaration de guerre. Blanc ou noir, gentil ou méchant, il faut choisir. La méthode consistait dans le même temps à galvaniser sa base de soutiens et à jouer en permanence les victimes.
Résultat : une Blitzkrieg tous azimuts, sur les réseaux sociaux ou au tribunal (à coups de citations directes) : contre leur banque, accusée de leur mettre des bâtons dans les roues dans la gestion de leur compte (en divulguant les adresses mails de trois banquiers), contre le directeur départemental de la protection des populations pour diffamation, contre le préfet pour sa mise en demeure de respect de la réglementation, contre la famille Thomas, propriétaire des terrains, pour des appels malveillants ou abus de biens sociaux, contre la presse, nationale ou régionale, quoi qu’elle dise…
Une stratégie dénuée de nuances, qui doit notamment à la personnalité de Jérôme Pensu, qui se décrit lui-même comme « incorruptible, irascible ». « Son combat est juste mais la méthode est inefficace, analyse Pierre Douay, associé de Jérôme Pensu dans le Biome et cofondateur de Rewild. Il veut tellement en découdre avec la terre entière. C’est contre-productif. Ça a décrédibilisé le projet de Rewild. Un projet pourtant extraordinaire. »
6. Un financement famélique pour un site vétuste
L’échec de Rewild doit aussi beaucoup à une mauvaise anticipation des enjeux financiers. Les 700 000 € de la cagnotte ont surtout servi à assurer le fonctionnement de ce parc de 14 hectares, qui coûte environ 80 000 € par mois. L’ancien propriétaire de 70 % des parts du zoo, Sauveur Ferrara, avait finalement donné cinq ans à Rewild pour régler les 600 000 € nécessaires au rachat de ses parts.
Mais en rachetant le zoo, Rewild a aussi hérité des dettes de ce parc vieillissant, créé en 1973. Le zoo n’étant pas aux normes, des travaux étaient à effectuer, peu importe qu’il soit fermé au public ou non. En février dernier, Rodolphe Delord, de l’AFDPZ, nous indiquait qu’il faudrait « 5 à 10 millions d’euros d’investissement pour rénover le parc, pour la sécurité et le bien-être animal. Le zoo de Pont-Scorff n’a pas investi depuis 15 à 20 ans. Le retard est colossal ».
Pour faire rentrer de l’argent, Rewild, qui avait fermé le zoo au public dès décembre 2019, avait le projet d’ouvrir un restaurant vegan, un musée virtuel… pour le printemps 2021. Mais les travaux n’ont jamais commencé et le Covid est passé par là. Le passif s’élevait à 1,4 million d’euros quand le zoo a été placé en redressement judiciaire.
7. Une tension intacte dans l’attente d’un repreneur
Le tribunal de commerce de Lorient a décidé, le 12 avril, d’écarter Jérôme Pensu de son rôle de représentant légal de la société durant la période de continuité après la liquidation, dans l’attente d’un repreneur. La juridiction lui reproche des erreurs de gestion (déclaration de cessation des paiements au bout de six mois, au lieu de 45 jours, absence de contrat d’assurance, absence de capacitaires garantissant la gestion de tous les animaux, y compris dangereux) et estime qu’il peut « être un obstacle à des soutiens nécessaires au maintien du site et à l’entretien des animaux ». En l’occurrence à celui de la fondation Brigitte Bardot, qui a apporté 50 000 € pour le soin des animaux, critique à son égard.
Que vont devenir la vingtaine de salariés et les 380 et quelque animaux (au moment du rachat étaient présents 398 animaux de 113 espèces) ? Les soigneurs, qui ont connu cinq directions en 10 ans, vantent de meilleures conditions d’existence pour les animaux « moins stressés » depuis la reprise par Rewild. « Les animaux restent la priorité de tout le monde ici, assure un soigneur. Ils sont en bonne santé, nourris comme il faut. » Les phoques ont, par exemple, retrouvé leur pelage depuis qu’ils ne nagent plus dans une eau chlorée.
Les offres de reprise peuvent être déposées jusqu’au 30 avril. Deux idéologies risquent de nouveau de s’affronter. Sea Shepherd « n’abandonne pas le projet Rewild » et va se positionner, mais en s’assurant une maîtrise totale du projet. Un ou des zoos devrait également être sur les rangs. Alain Le Héritte, ancien directeur du zoo (de 1997 à 2011), qui était propriétaire de 30 % de la société Bretagne Zoo placée en liquidation, est prêt à accompagner des candidats à la reprise.
Le projet Rewild survivra-t-il ? « Rewild, ce n’est pas un site, ce n’est pas Pont-Scorff, indiquait Jérôme Pensu au lendemain de la liquidation. Tout reste à écrire, une équipe de combattants s’est formée, a été mise à l’épreuve. Elle a envie de continuer la mission des animaux saisis. » « Si ce projet ne se fait pas ici, il se fera ailleurs », lâchait Loïck Aubry, un des représentants des salariés acquis à sa cause. La saga n’est pas terminée…