Un entomologiste bordelais a trouvé un mille-pattes mythique découvert par Monod en 1924 et jamais observé depuis cinquante ans.
Comment décrire l'émotion d'un naturaliste qui découvre une bestiole que personne n'a vue depuis Théodore Monod, il y a 91 ans… « Magique, au-delà de la réalité », s'enthousiasme l'entomologiste Hervé Thomas. Ce traqueur de bestioles, spécialiste des coléoptères, a trouvé à Gujan-Mestras, au port de La Hume, trois exemplaires de la schendyle de Monod, un myriapode emblématique de la famille des Schendilidés.
« On savait qu'il existait sur le Bassin, il avait été observé en 1961 par Jean-Marie Demange, un spécialiste des mille-pattes, dans ce qu'il appelait “les prés salés d'Arcachon” ». Rare ? En fait, c'est difficile à dire.
Qui a découvert le premier taxon ? C'est Théodore Monod. Un jeune Théodore de 22 ans, encore inconnu, qui naturalisait en 1924 dans la baie de Morlaix sur les berges de la Peuzé, les pieds clapotant dans un banc de vase estuarienne. Il a envoyé ce mille-pattes inconnu, une femelle, à Henry-Wilfrid Brölemann, au Muséum national d'histoire naturelle (1). Lequel a confirmé qu'il s'agissait bien d'une nouvelle espèce et lui a donné, comme le veut la tradition, le nom de son découvreur, « Schendylia monodi ». Demange en a alors publié la description le dans le bulletin de la Société d'histoire naturelle de Toulouse.
Un habitant des schorres
Les naturalistes sont toujours très prudents pour lancer une affirmation sur la rareté d'une bébête : les cartes de répartition des espèces sont tributaires de ceux qui les recherchent et des zones effectivement prospectées. Or, indique Hervé Thomas, il y a peu de spécialistes des mille-pattes, donc peu de collectes et de territoires recensés : « Il peut être moins rare que la littérature scientifique le laisse supposer.».
Alors ce mille-pattes ? « Mythique à rechercher », indique notre coléoptériste, fervent admirateur de Monod. En novembre dernier, il a suivi « par curiosité » un stage sur les myriapodes organisé à Nantes par Étienne Iorio, le plus grand spécialiste actuel, membre du Groupement pour l'étude des invertébrés armoricains (Gretia).
« Peu après, je suis allé à Gujan dans le but de trouver cette schendyle. Et il est arrivé ce qui n'arrive jamais, je l'ai trouvée. Dans la vase, sous de vieilles poches ostréicoles. » Étienne Iorio, à qui il a envoyé sa trouvaille, vient de le lui confirmer.
« Ma joie est double : j'ai pris une bête qui n'avait pas été vue depuis plus de 50 ans. Mais en plus, c'est la schendyle de Monod ! »
Depuis, il a revu le myriapode à Gujan, ce qui tennd à confirmer la présence d'une population stable.
91 ans après Mondo, 54 ans après Demange, Hervé Thomas va pouvoir rédiger son rapport d'observation, dans le bulletin de la Société linnéenne de Bordeaux dont il est membre. Et décrire ce petit myriapode de 2 cm, très fin, d'un blanc jaunâtre, porteur de 37 à 41 paires de pattes (non, il a renoncé à compter). Et son habitat ressemble à celui décrit par Monod et Demange : Schendyla Monodi aime les plages de vase, la végétation halophyte des shorres et des milieux estuariens. Si vous voyez une obione, fouillez un peu, il y a peut-être un schendyle de Monod, il en raffole…
(1) Le Museum national possède l'une des plus importantes collections de myriapodes au monde, notamment grâce au fonds Brölemann.
(2) La Société linnéenne de Bordeaux organise le congrès annuel de la Société zoologique de France du 16 au 19 septembre prochains à Bordeaux.
Source : Sud-Ouest.
