Christophe Guinet, directeur de recherche au Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC du CNRS), affirme que la captivité est actuellement inadaptée à l'espèce.
Pour autant, le scientifique précise qu'il est impossible de relâcher les animaux s'ils ont vécu une grande partie de leur vie en aquarium : « Dire que l'on pourra remettre les orques en captivité dans la nature n'est pas vrai, on n'a pas la solution », affirme-t-il.
Afin de préserver l'espèce de manière durable, Christophe Guinet, qui travaille depuis plusieurs années auprès d'orques dans leur milieu naturel, préconise de réinventer la captivité et d'investir en priorité dans la préservation de leur milieu naturel.
Quels sont les effets négatifs de la captivité pour les orques ?
(Christophe Guinet) Il faut voir comment ils vivent en milieu naturel : ce sont des animaux sociaux, qui évoluent au sein d'unités maternelles stables au cours du temps. Dans la plupart des populations d'orques, les petits vont rester auprès de leur mère quasiment toute leur vie. La captivité, en réorganisant les groupes d'orques, en séparant les petits des mères, crée des stress émotionnels extrêmement importants chez ces animaux.
L'autre aspect, c'est que lorsqu'ils sont en milieu naturel, les orques parcourent chaque jour une centaine de kilomètres en mer (jusqu'à 200 km) pour se déplacer, trouver leur nourriture. Aujourd'hui, même si la taille des bassins est plus grande qu'à l'époque des premiers parcs aquatiques, les conditions de maintien de ces animaux en captivité ne sont pas en adéquation avec les besoins de l'espèce. On en est encore au stade de l'aquarium rond pour le poisson rouge.
Qu'en est-il d'éventuelles séquelles physiques ?
Il faut savoir qu'en milieu naturel, selon le régime alimentaire des populations d'orques, on peut observer des problèmes de dents autrement plus importants que ce dont j'ai eu connaissance en captivité. Par exemple, les orques « offshore » au Canada, qui se nourrissent essentiellement de requins à la peau extrêmement abrasive, n'ont plus de dents à vingt ans.
Ensuite, tous les centres qui possèdent des orques font le maximum pour qu'ils bénéficient de conditions, au moins qualitatives, les meilleures possibles, car ils ont une valeur énorme. Après, est-ce que les bassins sont aujourd'hui adaptés à leurs besoins ? Personnellement, je ne le pense pas. Le principal problème est que les bassins ne sont pas assez profonds, pas assez grands.
A l'inverse, existe-t-il des effets bénéfiques à la captivité ?
Il y en a eu. On en connaîtrait beaucoup moins sur les orques aujourd'hui sans les programmes de capture. Je ne dis pas qu'on a appris beaucoup de choses sur les orques en captivité, mais c'est à partir de ces premières captures [elles datent des années 1970] que sont nés les programmes d'études sur les orques en milieu naturel.
C'est-à-dire qu'on a commencé à capturer ces orques, à les vendre dans les centres, et certains ont alerté sur le fait que l'on ne savait rien sur ces animaux, même par la taille des populations. Par ailleurs, il est intéressant de noter que la plupart des spécialistes qui travaillent aujourd'hui avec ces animaux en milieu naturel ont tous commencé plus ou moins avec des orques en captivité. Soit en participant à leur capture, soit en travaillant dans des aquariums.
Si leur capture a permis, dans un premier temps, d'en apprendre sur ces animaux dont on ne savait rien il y a cinquante ans, qu'en est-il aujourd'hui, existe-t-il encore des aspects positifs à la captivité ?
Le problème est que, dans nos sociétés, on souffre de la déconnexion de plus en plus importante entre l'homme urbain et son environnement naturel. Est-ce que la captivité peut aider à recréer du lien entre l'homme et l'animal ? Est-ce qu'elle peut inciter les hommes à préserver leur environnement naturel ? Je pense que ça dépend de la sensibilité de chacun. C'est en tout cas de ce côté là qu'il faut chercher des points positifs.
Il est également important de noter que le rêve de chacun serait de voir des orques en milieu naturel. Mais, quand on voit dans certains endroits la pression du whale watching [l'observation des orques dans leur milieu naturel] sur les populations de cétacés, on se demande si la solution est d'envoyer des gens voir de façon industrielle ces animaux dans leur environnement naturel.
Quelle solution préconisez-vous alors ?
Une troisième voie. Si on doit maintenir ces animaux en captivité, il faut réimaginer les conditions, et pas forcément des orques mais de tous les animaux marins. Je pense à des systèmes de semi-captivité : des enclos dans la mer ou dans des baies, à conditions de trouver des milieux adaptés notamment en termes de température de l'eau, où l'on maintiendrait des groupes sociaux, mais qui dépendraient de l'homme pour leur alimentation.
Cette solution permettrait de les observer et de s'en servir comme support d'études scientifiques (certaines études sont impossibles à pratiquer sur des animaux en milieu naturel). Parce que, dire que l'on pourra arrêter la captivité dans sa forme actuelle, inadaptée depuis des années aux besoins de l'espèce, et remettre les orques dans la nature n'est pas vrai, on n'a pas la solution et on n'y arrivera pas.
Les critiques des partisans de la libération des orques en captivité concernent notamment les spectacles, présentés comme des exercices inadaptés, voire humiliants, pour des animaux aussi intelligents que les orques. Qu'en est-il réellement ?
Je pense que si on enlève la partie spectacle aux orques, on rend la captivité terrible pour ces animaux. Justement, ces performances physiques rendent, de mon point de vue, la captivité supportable. Ce sont des animaux qui ne pourraient pas rester complètement inactifs. Parce que ce qui les tue en captivité, c'est l'ennui.
Par contre, et c'est là où il faudrait que le public et les grandes institutions comme Seaworld [le plus grand parc aquatique américain] prennent conscience, on devrait entendre parfois : « Compte tenu de l'état de nos animaux, nous ne sommes pas en mesure de présenter le spectacle. » Il y a des jours où les orques ont envie, et d'autres jours où ils ne sont pas en état. Les obliger à faire ces spectacles s'ils ne sont pas d'humeur peut être source de problèmes.
Dans la nouvelle forme de captivité que vous imaginez, est-ce qu'il y aurait une place pour ces spectacles ?
Pour moi, ça n'est pas la partie spectacle qui est gênante dans la captivité, donc si on devait imaginer d'autres formes de captivité, pourquoi l'enlever ? Peut-être faudrait-il la rendre plus pédagogique. Pour autant, il ne faut pas se focaliser uniquement sur le débat de la captivité. Les vrais enjeux par rapport à l'espèce ne se jouent pas en captivité, mais dans leur milieu naturel, fortement dégradés du fait de la pollution des bateaux, de la pollution sonore, de la compétition avec les pêcheries mondiales, de la raréfaction de leurs ressources, de l'ouverture de l'Arctique à l'exploitation pétrolière.
Il ne faut pas perdre de vue cette question, qui ne concerne bien évidement pas uniquement les orques [voir le récent rapport de l'agence américaine responsable de l'étude océanique et atmosphérique (NOAA) sur la question].
Source : Le Monde.