De retour de mon périple allemand, j'ai voulu ouvrir ce sujet afin de discuter avec vous de certains comportements dus à la captivité, de scènes que vous auriez pu voir en tant que visiteur ou même vivre en tant que soigneur. Nous savons bien évidemment que le monde animal n'est pas un tendre paradis comme on aimerait souvent nous le faire croire mais je tend à croire que des dérives sont possibles.
En effet, j'ai assisté lundi dernier à une scène d'une rare violence. Je me rend dans la serre des anthropoïdes du Zoo Krefeld et me retrouve d'abord face à l'installation des orang-outan divisée en deux. D'un côté le mâle du groupe et deux femelles, de l'autre une femelle accompagnée de deux jeunes. En regardant les trombinoscopes je suis étonné de voir que l'un des deux jeunes appartient à l'une des femelles de l'enclos voisin et décide donc de traduire le panneau explicatif rédigé en allemand. On peut donc y lire "Sungai, la maman de Hujan ne s'occupait pas de lui et c'est donc sa grand-mère Léa qui l'éduque tendrement"
Alors sur le coup c'est mignon, anthropomorphisme à souhait, mais ce petit texte touchant devient surtout risible lorsque l'on connait la suite de l'histoire. Lea est donc accompagné de Hujan et Suria dernière née du groupe.
D'abord je ne comprend pas bien ce qui se passe. Suria est fermement accrochée à sa mère Léa tandis que cette dernière semble embêter Hujan. Elle l'attrape par les bras, les pieds et tente de le faire tomber. On pourrait croire à une scène de jeu. Mais les orang-outan sont d'ordinaire silencieux et à entendre les cris perçants de ce petit je comprend rapidement que quelque chose ne va pas. Hujan, fatigué de se débattre, se laisse tomber au sol et se blottit dans de la paille, presque inerte. Lea remonte un peu plus haut dans les agrès, avec sa petite toujours fermement accrochée, et puis comme si elle n'en avait pas fini, elle redescend aussitôt, attrape Hujan par le bras, le secoue comme un torchon et le claque violemment contre les agrès. Les visiteurs se mettent à crier et les parents accompagnés d'enfants quittent la serre tandis que je cours chercher un soigneur auprès duquel je m'exprime en anglais en disant "Lea est entrain de tuer Hujan". Le gentil monsieur me répond "Oui on sait merci" sans aucune autre forme d'explication. Bien qu'il ait été désagréable, la première chose que je me suis dite c'est que le "Oui on sait" signifie que ça n'est pas la première fois que ça arrive.
A mon retour dans la serre, Lea et sa petite avaient été rentrées tandis que le petit corps d'Hujan était resté au sol. Les soigneurs rentrent dans l'enclos et le prennent dans leur bras en le caressant tout en nous regardant comme pour nous dire "Vous voyez on s'occupe bien de lui". Au vu de la force avec laquelle ce jeune individu s'agrippait au soigneur, je compris rapidement qu'il avait été élevé au biberon. Après quelques mouvements d'articulation pour voir si rien n'est cassé, le petit Hujan reste seul dans l'enclos.
Je mets un certain temps pour me remettre de cette scène, entendant encore les cris déchirants de ce petit et la violence, la force avec laquelle sa mort était préméditée par Lea, sa chère et tendre grand-mère.
En faisant quelques recherche sur internet on découvre facilement la petite bouille d'Hujan dans les bras des soigneurs, des videos sur youtube de cette petite star comme le fut Knut l'ours polaire de Berlin.
Encore une fois je comprend parfaitement combien il doit être difficile de prendre la décision d'euthanasier un jeune animal rejeté par sa mère, surtout lorsqu'il s'agit d'un grand singe tel que l'orang-outan. Mais est-il préférable d'éduquer un primate si complexe en prenant le risque qu'il ne connaisse jamais la vie et les codes de son espèce ou est-il préférable de le laisser s'éteindre en acceptant cette perte...
J'imagine que les réponses à ces questions sont nombreuses surtout lorsqu'on sait que certains individus élevés au biberon ont tout à fait su s'intégrer à des groupes et ont parfaitement réussi à se reproduire en éduquant correctement leurs petits.
Tout cela est bien délicat... Mais ce que je peux affirmer c'est que ce petit Hujan est, psychologiquement, totalement détruit.
Avez-vous déjà vu des cas similaires ? Ou avez-vous déjà entendu parlé de cas "d'adoption" de la part d'autres femelles ?
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Comportements en captivité
8 messages
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Re: Comportements en captivité
Il me parait bien difficile de juger l'histoire sans la connaître en détail.
Il est sûr que la captivité, par la promiscuité qu'elle engendre, facilite les situations de tension comme tu as pu voir et réduit les possibilités de fuite pour les individus dominés.
Mais en soi, la violence inter espèce existe partout, et des orangs-outans qui agressent un congénère, cela aurait aussi bien pu arriver dans la nature.
Il est sûr que la captivité, par la promiscuité qu'elle engendre, facilite les situations de tension comme tu as pu voir et réduit les possibilités de fuite pour les individus dominés.
Mais en soi, la violence inter espèce existe partout, et des orangs-outans qui agressent un congénère, cela aurait aussi bien pu arriver dans la nature.
Les animaux des zoos sont les ambassadeurs de leurs cousins sauvages. (Pierre Gay)
- raphaël
- Messages: 7204
- Enregistré le: Mercredi 10 Août 2005 15:24
- Localisation: gironde
Re: Comportements en captivité
Groupe 1 : BUNJO le mâle, avec SUNGAI une femelle et CHANGI un fils de LEA.
Groupe 2 : LEA une femelle née en 1993 (elle-même élevée "à la main") avec SURIA sa fille, et HUJAN (fils de SUNGAI et élevé au biberon)
Les orangs-outans sont connus pour développer une certaine forme de "jalousie" et veulent s'approprier des petits. Plusieurs accidents ont déjà eu lieu, du genre attraper un bras et le tirer à travers le grillage allant jusqu'à l'arrachage du bras !!!
La scène à laquelle tu as assisté ressemble + à une forme d'éducation très musclée. HUJAN a crié pour indiquer qu'il se soumettait mais LEA ne reconnaît pas ce stimulus d'inhibition.
Groupe 2 : LEA une femelle née en 1993 (elle-même élevée "à la main") avec SURIA sa fille, et HUJAN (fils de SUNGAI et élevé au biberon)
Les orangs-outans sont connus pour développer une certaine forme de "jalousie" et veulent s'approprier des petits. Plusieurs accidents ont déjà eu lieu, du genre attraper un bras et le tirer à travers le grillage allant jusqu'à l'arrachage du bras !!!
La scène à laquelle tu as assisté ressemble + à une forme d'éducation très musclée. HUJAN a crié pour indiquer qu'il se soumettait mais LEA ne reconnaît pas ce stimulus d'inhibition.
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éric13 - Messages: 1360
- Enregistré le: Lundi 10 Septembre 2012 22:18
Re: Comportements en captivité
Et l'infanticide existe aussi chez les orang-outans, mais il ne semble que ça soit le cas ici car si infanticide il y a, les orang-outans n'y vont pas par 4 chemins: ils tueront le petit être en le mordant fortement.
Telle que la scène est racontée, je n'y vois aucune forme d'éducation très musclée mais plutôt un jeu un peu pervers, très violent et ignorance délibérée du stimulus de soumission ( que les orang outans et la plupart des autres espèces de grands singes reconnaissent tous instinctivement, élevés ou non par leur mère). J'ai bien peur que le petit Hujan finisse par être tué par sa grand-mère qui joue avec comme elle le ferait avec une poupée de chiffon, si le personnel du zoo ne se décide pas à le retirer définitivement. Et ça fera encore des gros titres dans la presse.
J'ai connu un cas similaire en 2002, avec un dénouement ent plus heureux chez les gorilles à La Vallée des Singes. La petite Kwanza avait dû être élevée à la main car sa mère, Gaja, issue du milieu sauvage et elle-même élevée à la main, déjà vieille et primipare, ne savait absolument pas comment allaiter son petit. Donc , Kwanza a dû être retirée pendant 8 mois à sa mère, avant de lui être rendue définitivement. C'était à ma connaissance la première fois au monde qu'un bébé grand singe aussi jeune a été rendu avec succès à son groupe.
Il ya toujours un risque à rendre un jeune élevé à la main à son groupe, surtout s'il est encor très jeune et doit continuer à boire du lait. Il faut que sa mère l'accepte à nouveau, sinon une mère de substitution, il faut qu'elle accepte que son petit continue à boire au biberon à travers les barreaux, et il faut également que tout le groupe, y compris le mâle reproducteur, l'accepte. Il y a tout un travail à faire en amont avant le jour J, avant de rendre définivement le petit à sa mère: tout un protocole qui consiste à montrer le bébé tous les jours, une à plusieurs fois par jour, à sa mère comme à son groupe, laisser la mère toucher, sentir le petit, sentir ses fèces, le regarder prendre le biberon, etc... Inlassablement, tous les jours, pendant 8 mois, les séances devaient durer assez longtemps.
Le protocole Kwanza a été répété avec succès en 2006 avec sa petite soeur Miliki, deuxième bébé de Gaja, qui lui a été rendue à seulement 7 mois.
Telle que la scène est racontée, je n'y vois aucune forme d'éducation très musclée mais plutôt un jeu un peu pervers, très violent et ignorance délibérée du stimulus de soumission ( que les orang outans et la plupart des autres espèces de grands singes reconnaissent tous instinctivement, élevés ou non par leur mère). J'ai bien peur que le petit Hujan finisse par être tué par sa grand-mère qui joue avec comme elle le ferait avec une poupée de chiffon, si le personnel du zoo ne se décide pas à le retirer définitivement. Et ça fera encore des gros titres dans la presse.
J'ai connu un cas similaire en 2002, avec un dénouement ent plus heureux chez les gorilles à La Vallée des Singes. La petite Kwanza avait dû être élevée à la main car sa mère, Gaja, issue du milieu sauvage et elle-même élevée à la main, déjà vieille et primipare, ne savait absolument pas comment allaiter son petit. Donc , Kwanza a dû être retirée pendant 8 mois à sa mère, avant de lui être rendue définitivement. C'était à ma connaissance la première fois au monde qu'un bébé grand singe aussi jeune a été rendu avec succès à son groupe.
Il ya toujours un risque à rendre un jeune élevé à la main à son groupe, surtout s'il est encor très jeune et doit continuer à boire du lait. Il faut que sa mère l'accepte à nouveau, sinon une mère de substitution, il faut qu'elle accepte que son petit continue à boire au biberon à travers les barreaux, et il faut également que tout le groupe, y compris le mâle reproducteur, l'accepte. Il y a tout un travail à faire en amont avant le jour J, avant de rendre définivement le petit à sa mère: tout un protocole qui consiste à montrer le bébé tous les jours, une à plusieurs fois par jour, à sa mère comme à son groupe, laisser la mère toucher, sentir le petit, sentir ses fèces, le regarder prendre le biberon, etc... Inlassablement, tous les jours, pendant 8 mois, les séances devaient durer assez longtemps.
Le protocole Kwanza a été répété avec succès en 2006 avec sa petite soeur Miliki, deuxième bébé de Gaja, qui lui a été rendue à seulement 7 mois.
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Vinch - Messages: 6081
- Enregistré le: Jeudi 22 Octobre 2009 19:49
Re: Comportements en captivité
Des cas d'adoptions par d'autres mères, j'en ai connu chez les saïmiris, les magots, les mandrills, les capucins, tous avec succès car l'adoptante avait déjà un petit à allaiter. Donc, il y avait constitution de "jumeaux".
J'ai également été témoin dans un parc d'un cas très particulier d'adoption dans un groupe de mandrills. C'était en 1998. Le nouveau mâle dominant venait de finir de tuer le vieux chef du groupe ( il le faisait à petit feu depuis plusieurs semaines), et peu de temps après, une femelle mourrait, apparemment de stress intense, laissant une petite de 5-6 mois, à peine sevrée mais encore très dépendante de sa mère. Tenez-vous bien, ce ne sont pas les autres mères du groupe, elles mêmes également très stressées qui l'ont adoptée mais ce nouveau mâle qui l'avait prise sous son aile: il s'est comporté comme une parfaite mère de substitution qui a très bien éduqué la petite.
Ce qui a sans doute par la suite rassuré les femelles qui ont pu continuer tranquillement l'élevage de leur progéniture. Il faut dire que le nouveau dominant était lui-même issu du groupe, donc ne devait pas songer à l'infanticide pour transmettre plus rapidement ses propres gènes.
J'ai également été témoin dans un parc d'un cas très particulier d'adoption dans un groupe de mandrills. C'était en 1998. Le nouveau mâle dominant venait de finir de tuer le vieux chef du groupe ( il le faisait à petit feu depuis plusieurs semaines), et peu de temps après, une femelle mourrait, apparemment de stress intense, laissant une petite de 5-6 mois, à peine sevrée mais encore très dépendante de sa mère. Tenez-vous bien, ce ne sont pas les autres mères du groupe, elles mêmes également très stressées qui l'ont adoptée mais ce nouveau mâle qui l'avait prise sous son aile: il s'est comporté comme une parfaite mère de substitution qui a très bien éduqué la petite.
Ce qui a sans doute par la suite rassuré les femelles qui ont pu continuer tranquillement l'élevage de leur progéniture. Il faut dire que le nouveau dominant était lui-même issu du groupe, donc ne devait pas songer à l'infanticide pour transmettre plus rapidement ses propres gènes.
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Vinch - Messages: 6081
- Enregistré le: Jeudi 22 Octobre 2009 19:49
Re: Comportements en captivité
Vinch a écrit:Telle que la scène est racontée, je n'y vois aucune forme d'éducation très musclée mais plutôt un jeu un peu pervers, très violent et ignorance délibérée du stimulus de soumission ( que les orang outans et la plupart des autres espèces de grands singes reconnaissent tous instinctivement, élevés ou non par leur mère). J'ai bien peur que le petit Hujan finisse par être tué par sa grand-mère qui joue avec comme elle le ferait avec une poupée de chiffon, si le personnel du zoo ne se décide pas à le retirer définitivement. Et ça fera encore des gros titres dans la presse.
La seule chose qui m'interpelle, est que Hujan est un mâle, donc bien plus costaud que les femelles. En supposant que l'on arrive à le "sauver" à chaque fois, qu'est-ce qui peut se passer quand il grandira ? Est-ce que les choses risquent de continuer, ou est-ce qu'au contraire la situation pourrait se retourner, dans la mesure où par sa corpulence, il pourra intimider et calmer sa grand-mère ?
- Antoine6259
- Messages: 5790
- Enregistré le: Dimanche 16 Décembre 2007 13:53
Re: Comportements en captivité
Pour l'heure, il n'a guère plus d'un an, me semble-t-il, le Hujan. Donc, à cet âge, il n'est guère plus corpulent qu'une femelle du même âge, et certainement beaucoup moins que sa grand-mère. S'il survit à cette maltraitance,il se passera probablement encore de longues années avant qu'il ne puisse tenir tête à sa grand-mère.
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Vinch - Messages: 6081
- Enregistré le: Jeudi 22 Octobre 2009 19:49
Re: Comportements en captivité
C'est vrai qu'en plus les orang-outans ne grandissent pas vite. Je me souviens de Tamu à la Ménagerie, qui donnait toujours l'impression d'être encore un bébé pendant plusieurs années.
- Antoine6259
- Messages: 5790
- Enregistré le: Dimanche 16 Décembre 2007 13:53
8 messages
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