Mulhouse et le lémur aux yeux turquoise

[Philippe]

Grand Est : le zoo de Mulhouse possède l’une des plus belles collections de lémuriens en Europe

Avec l'homme, il est le seul primate de la création que la Nature a doté d’un regard bleu. Cette particularité s’arrête là, car si le bleu est la couleur de la sagesse, la vie du lémur aux yeux turquoise n’a plus jamais été sereine après l’irruption des premiers hommes sur le paradis forestier primitif qu’était Madagascar. On le croyait même disparu avant qu’une mission franco-allemande de naturalistes ne retrouve sa trace en 1983 sur la péninsule de Sahamalaza, une région de forêt sèche située au nord-ouest du pays.

A l’époque, la trouvaille avait fait grand bruit. Compte tenu de la situation critique de la plupart des variétés de lémuriens endémiques sur la Grande Île, une mobilisation s’est immédiatement enclenchée pour sauver les rescapés de l’espèce « Eulemur flavifrons », le nom scientifique de ce petit animal arboricole dont l’activité est autant diurne que nocturne. Outre ses yeux azur, l’acrobate présente un net dimorphisme sexuel entre le mâle au pelage noir et la femelle à la toison beige clair.
« Après cette découverte, une initiative internationale a été lancée pour étudier la zone concernée et capturer des individus afin de déterminer leur constitution génétique. Ce travail a permis d’affirmer qu’il s’agissait d’une espèce à part entière, cousine du lémur macaco », commente Brice Lefaux, directeur du zoo de Mulhouse.

Poumon vert de la grande cité haut-rhinoise, cet espace de 25 ha est devenu une référence mondiale en matière de préservation animale. Sur les 170 espèces de sa collection, 88 participent à une démarche de conservation et parmi elles, 9 programmes d’élevage européens (EEP) sont gérés directement par le parc.

Vétérinaire de formation et expert en primatologie, Brice Lefaux est lui-même le coordinateur EEP du lémur aux yeux turquoise, mais aussi du gibbon à favoris blancs originaire d’Asie et du cercopithèque de Roloway qui subsiste au Ghana et en Côte d’Ivoire.

« L’espèce se reproduit difficilement en captivité »

Toutes pensionnaires à Mulhouse, ces trois espèces pointent dans la triste liste des 25 primates les plus menacés de la planète. Dans le cas du petit lémur, 16 sujets ont été prélevés in situ en 1989 pour tenter d’obtenir des reproductions en captivité : « 8 ont été confiés au Duke Lemur Center, un sanctuaire pour ces animaux implanté aux États-Unis. Les autres ont été répartis dans 3 zoos européens dont le nôtre.»

Placés sous la bannière de l’association européenne pour l’étude et la conservation des lémuriens (AEECL) qui regroupe 36 zoos, les pionniers ont fait souche, notamment à Mulhouse où des naissances ont été obtenues entre 2011 et 2014. « La population captive initiale a fourni 26 descendants, mais elle n’est pas viable à long terme. L’espèce se reproduit difficilement et on se heurte à des problèmes de consanguinité ou d’imprégnation. D’ici une vingtaine d’années ce lémur n’existera plus dans les zoos. ».

C’est donc à Madagascar qu’il faut garantir un avenir aux 2.000, voire 3.000 sujets qui ont survécu à la pression de chasse et à la culture sur brûlis qui détruit des pans entiers de forêts. « Pour ce primate, nous sommes désormais dans un processus de conservation intégrée qui implique des opérations de replantations d’arbres car le milieu naturel a été très dégradé, mais aussi une sensibilisation des villageois grâce à l’éducation des enfants dans les écoles. On paie pour cela la moitié du salaire des instituteurs. ».

En 2009, le gouvernement malgache a classé 2.700 km² de la péninsule de Sahamalaza en parc national. Brice Lefaux en est convaincu : « Sans l’action de l’AEECL, de ses zoos partenaires et donc de leurs visiteurs, jamais un tel statut de protection n’aurait vu le jour. ».

Source : L'Est républicain.

[Vinch]

Le Maki aux Yeux Turquoises est une espèce à part entière, certes différente du Maki Macaco, mais il existe entre les deux espèces plusieurs zones d'hybridation naturelle là où il y a chevauchement de leurs aires de répartition respectives.
Ils s'hybrident spontanément, et l'hybride de première génération ressemble au flavifrons mais avec des yeux orange.

[okapi]

Ce qui est mis en évidence ici, c'est aussi l'impossibilité de maintenir une espèce qui se reproduit mal et faiblement représentée en captivité... Je ne comprends d'ailleurs pas très bien l'idée de détenir une vingtaine d'individus dans une poignée de zoos quand il en subsiste quelques milliers dans un sanctuaire. Ce sanctuaire, selon Brice Lefaux, a été largement inspiré par un groupe de parcs: voilà une bonne nouvelle! Les zoos sont devenus des leviers pour inviter/inciter les dirigeants à agir: c'est formidable, mais ce qui est surtout notable, c'est que tous ces parcs ne détiennent pas ce joli lémurien... Donc, il n'est pas forcément nécessaire de posséder un animal pour contraindre un état à agir sur sa faune... Je pense que ça relativise un peu la notion d'ambassadeurs: finalement, un catta peut très bien faire l'affaire pour sensibiliser le monde à la situation de ses collègues fragilisés dans la nature...

[Vinch]

Je m'étais déjà occupé d'un couple Makis aux Yeux Turquoises et, ai eu la chance de pouvoir les comparer directement avec un couple de Makis Macaco.
Dans les deux couples, les femelles étaient imprégnées. Et effectivement, les turquoises sont plus difficiles à élever et à reproduire.

[Vinch]

Ce qui est mis en évidence ici, c'est aussi l'impossibilité de maintenir une espèce qui se reproduit mal et faiblement représentée en captivité... Je ne comprends d'ailleurs pas très bien l'idée de détenir une vingtaine d'individus dans une poignée de zoos quand il en subsiste quelques milliers dans un sanctuaire. Ce sanctuaire, selon Brice Lefaux, a été largement inspiré par un groupe de parcs: voilà une bonne nouvelle! Les zoos sont devenus des leviers pour inviter/inciter les dirigeants à agir: c'est formidable, mais ce qui est surtout notable, c'est que tous ces parcs ne détiennent pas ce joli lémurien... Donc, il n'est pas forcément nécessaire de posséder un animal pour contraindre un état à agir sur sa faune... Je pense que ça relativise un peu la notion d'ambassadeurs: finalement, un catta peut très bien faire l'affaire pour sensibiliser le monde à la situation de ses collègues fragilisés dans la nature...

Il faut dire que lors de leur découverte, les Eulemur flavifrons étaient déjà rares, avaient une aire de répartition très réduite, dans une zone qui n'était absolument pas protégée.
Partant de là, les zoologues avaient jugé nécessaire d'essayer constituer une population captive viable bien que basée que sur très peu de fondateurs.
Ensuite, les lémuriens devenaient de plus en plus difficiles à voir, et on les avait presque cru éteints parce qu'on n'en voyait plus du tout, à cause de la déforestation et du braconnage. Puis, il a été redécouvert en 1985...
La suite dans ce résumé d'une publication écrite par le Docteur Brice Lefaux, pour la revue de Primatologie, de la SFDP:
[...] Depuis sa redécouverte en 1985 le lémur aux yeux turquoise a bénéficié de mesures de protection croissantes dans son aire de répartition et de programmes de reproduction en parc zoologique en Amérique du nord, en Europe ainsi qu’à Madagascar. Les recherches menées depuis 1989 par l’Association Européenne pour l’Etude et la Conservation des Lémuriens (AEECL) et les recensements effectués dans la péninsule de Sahamalaza au Nord-ouest de Madagascar ont permis d’estimer la population d’Eulemeur flavrifrons entre 2000 et 3000 individus. Le parc national de Sahamalza –iles Radama a été créé en 2009. Il constitue la mesure la plus forte en termes de protection des populations dans la législation malgache. L’instabilité politique et les difficultés économiques du pays compromettent la protection effective du lémurien, parmi les 25 primates les plus menacés au monde. Les mesures de conservation basées sur le développement des communautés villageoises de la zone de protection et les recherches menées à la station d’Ankarafa permettent d’évaluer les résultats du programme sur 25 ans. Parallèlement, les programmes de reproduction nord-américains (SSP) et européens (EEP) ont vu leur population augmenter et sont confrontés aujourd’hui à un taux de natalité trop faible. Les analyses démographiques et génétiques montrent que la population européenne n’est pas viable à long terme et les efforts de coopération au niveau global doivent être poursuivis.[...]
Source: https://primatologie.revues.org/1518

[okapi]

... in situ!
Là, pour le coup, le maintien d'une population captive est illusoire... En conserver relève de la collectionnite et ça risque d'être le cas pour quelques autres, non?
En revanche mobiliser toujours plus de parcs, soutenus par des pétitions de leurs visiteurs, pour développer ces sanctuaires un peu partout dans le monde, ça c'est une vraie justification! Les zoos ont aujourd'hui un rôle politique à jouer, mais en sont-ils capables et le veulent-ils vraiment? C'est bien plus confortable d'accrocher un panneau sur la cage d'une bête rare pour justifier d'un prix d'entrée certain et d'une débauche de glaces, de hots dogs et de spectacles ringards pour attiser la curiosité du bon public que de se lancer dans une vraie bataille administrative aux côtés des politiques, bien utiles au demeurant pour décrocher des pandas.

[raphaël]

On peut souligner le formidable travail de l'AEECL au sujet de cette espèce et de la région de Sahamalaza. Une zone difficile d'accès pour le tourisme, mais j'espère qu'elle pourra attirer un peu de monde à l'avenir. Moi même, je n'avais pas eu l'occasion d'y aller.

C'est une bonne question que pose okapi, et qui se pose souvent. Plein de zoos qui soutiennent l'AEECL n'ont pas de lémur aux yeux turquoise (notons que l'association d'étude et de conservation des lémuriens n'est pas non plus focalisée sur cette espèce même si elle en est l'emblème). Calviac notamment est actif sur le Parc national.
Faut-il essayer de préserver la population captive de flavifrons malgré sa situation critique ? Ou autant, comme le dit okapi, continuer à reproduire les cattas et varis, très présents et ambassadeurs moins contraignants et plus impressionnants ?
La balance est difficile, car au moindre conflit politique, à la moindre épidémie à Madagascar, on sera contents d'avoir une population de secours...
L'EAZA fait des choix à l'échelle d'un Taxon Advisory Group (TAG). Par exemple, pour les lémuriens, il est recommandé de laisser s'éteindre la faible et vieillissante population de lémurs à front blanc, au profit des autres espèces.

[Simon38]

Il y aura toujours des choix à faire en matière de conservation mais le cas par cas s'impose. Faut-il, par exemple, délaisser définitivement les rhinocéros blancs du Nord, qui semblent condamnés, au profit de leur homologue du Sud ? Faut-il se rendre à l'évidence et accepter l’extinction, a priori inévitable, d'une poignée d'espèces telles l'ours polaire, la panthère de l'amour ou ces jolis lémuriens aux yeux saphirs ? Et tout cela au profit d'animaux qui en ont vraiment besoin et qui participent à l'équilibre global de la planète : abeilles, vers de terre, scarabées décomposeurs, etc... Et surtout, cette action doit-elle se faire au détriment de populations captives, jolies sur le papier et aimées du public, mais finalement peu utiles ? Je pense que la solution vient avec cette notion "d'espèce parapluie" et finalement, le cas du lémur aux yeux turquoises est assez parlant. Protéger un milieu, riche et complexe, via une espèce forte, emblématique et susceptible de parler à beaucoup de gens...

Je pense aussi, dans le même sujet, à Beauval qui aide des programmes axés sur des espèces qu'il ne possède pas : éléphant d'Asie, guépard, bonobo, saola ou encore tatou géant.

[okapi]

Qu'il ne possède pas... encore! Beauval va sans aucun doute installer des guépards dans sa nouvelle zone africaine et la tentation du bonobo, ma foi... Pour l'éléphant d'Asie, ce n'est sans doute pas un obstacle majeur et le tatou géant, dans une logique de serre... Reste le saola, pour lequel c'est pas gagné et qui serait bien mieux à... Doué!
C'est étonnant d'ailleurs cette absence du guépard... C'est un fauve, repéré par le public, auquel on peut attacher des qualités spectaculaires... Mais c'est vrai aussi que Madame Delord envisage/rêve d'obtenir quelques guépards... royaux!

[Simon38]

C'est vrai que j'ai pensé au "encore" mais même si ces programmes renvoient à des rêves plus ou moins lointains, le fait même qu'ils existent est une bonne chose. Combien de zoos s'impliquent dans la conservation du tatou géant ou du ouistiti oreillard, un peu, à la manière de Durrel sauvant quelques dizaines d'oiseaux et de reptiles endémiques délaissés par les autres ? Après, ça ne me surprend guère, mais Beauval avec des guépards royaux et qui joue sur un message de conservation....

[raphaël]

N'oublions pas que la conservation c'est une affaire d'hommes, d'amitiés, de soutiens.
Je comprends tout à fait qu'un grand zoo comme Beauval, qui rencontre et connait énormément de monde, soutienne des projets qui ne lui sont a priori pas liés.
Les responsables zoologiques du Zooparc sont aussi, avant tout, des passionnés et ils peuvent allouer des fonds ou du temps à une cause qui les intéresse, même sans saola à St Aignan.

[raphaël]

De toutes façons aujourd'hui on ne préserve plus "une espèce".
Comme le dit Simon, on préserve un milieu, des populations, des activités, des interactions biologiques. Mais une espèce représentative permet au public de simplifier l'action et de comprendre son importance. Protéger la forêt de Sahamalaza, c'est moins parlant que protéger le lémur aux yeux turquoise. L'animal, c'est le nom de la star qu'on met sur l'affiche du film pour attirer.

[grievous]

Le tatou géant, l'étourneau à ailes noires, le ousititi oreillard... sont des programmes soutenus surtout par l'AFdPZ donc autrement dit par tous les zoos qui amendent le fond de conservation. Donc finalement des programmes soutenus par pas mal de zoo français membre de l'AFdPZ

[Simon38]

Un petit lien vers les programmes financés par l'association : http://www.afdpz.org/index.php?option=com_content&view=article&id=79&Itemid=114

C'est assez frappant, le choix des espèces parapluies pour le coup : singes méconnus, oiseaux endémiques, etc... On est loin des programmes standards des parcs importants généralement orientés vers les herbivores, les grands singes ou les grands félins.

[grievous]

C'est parce que le "cahier des charges" et la philosophie de la commission Conservation a été conçue de la sorte...et pour le coup c'est une excellente chose.