Suite à une visite à la Ferme aux crocodiles de Pierrelatte dans la Drôme je dresse ici un compte rendu qui, j’espère, vous ferez apprécier ce petit parc. Je n’avais pas beaucoup de souvenirs de la dernière visite, elle remonte en effet à plus de 10 ans en arrière, mais j’avais suivi avec beaucoup d’intérêt l’évolution très intelligente de cette structure.
À l’origine créée par deux frères passionnés de reptiles, la Ferme fut ouverte au public en 1994 et est devenue bien vite une référence dans l’élevage et la détention en captivité des crocodiliens. La visite dure environ une heure trente mais il faut faire preuve de patience pour voir bouger les centaines d’animaux à l’apparence placide. Plutôt qu’une suite rébarbative de terrariums montrant des animaux immobiles la majeure partie du temps, les concepteurs ont tablé sur une approche immersive. Le visiteur évolue, depuis une multitude de points de vue en hauteur, au cœur du territoire des animaux et dans des environnements variés.
Aujourd’hui, la Ferme conserve la même formule innovante : un vaste complexe de serres tropicales s’étendant sur 8000 m² d’intérieur et présentant 11 espèces de crocodiliens du monde entier. La collection s’est peu à peu enrichie et diversifié avec le temps : tortues, lézards, serpents, poissons et oiseaux tropicaux ont ainsi rejoint le site peu à peu. Avec le temps, le site a également été enrichi d’autres parcours afin de décongestionner les serres et offrir de meilleures conditions de vie aux pensionnaires. En parallèle, la Ferme s’est peu à peu engagée dans la conservation et participe à l’heure actuelle à plusieurs projets naturalistes, au Bénin, Niger mais aussi au Népal. C’est également un centre scientifique important dans l’étude des crocodiles avec un laboratoire et une écloserie accessibles aux chercheurs. Enfin la pédagogie, bien que simple, est accessible à tous et couvre de nombreux sujets : conservation, anatomie, questions sur la captivité, patrimoine, légendes, tout en privilégiant l’usage des sens du visiteur et des courts métrages documentaires.
Bien, sur ces quelques mots de présentation, commençons !
Notre ticket de visite en main, nous poussons un portillon et arrivons dans le premier espace de la Ferme. C’est surement le moins intéressant du point de vue présentation. Une série de vastes et hauts terrariums abritent de petites espèces : crocodile nain (Osteolaemus tetraspis), tortue alligator (Macrochelys temminckii), varan crocodile (Varanus salvadorii) et alligator albinos (Alligator mississippiensis). Ces derniers sont arrivés en 2010 et étaient alors les seuls de France. Ils sont hélas présentés comme des animaux menacés (pure hérésie) et ils prennent de la place dans une reconstitution de bayou… Le seul point positif, c’est le pic de fréquentation qu’ils ont apporté… Les terrariums sont bien aménagés, grands mais peu mis en valeur, malgré la taille des beaux panneaux très sobres.
Terrarium des varans crocodiles
Terrarium des crocodiles nains
Varan crocodile
Le cuir d’un alligator albinos
Exemple de panneau pédagogique
À noter que le parc a créé, en 2001, l’Association SOS crocodiles, qui encourage toute activité en faveur des reptiles. Dans ce cadre, la Ferme intervient au Bénin avec l’association Crédit ONG « qui porte des activités de recherche, de sensibilisation, d’animation et de formation dans les domaines de la conservation, de l’agriculture/élevage et de la santé au niveau des villages qui bordent la forêt du Sitatunga sur la commune de Zinvié, au Bénin. » (Site internet du parc). Ces projets de microéconomies/ développement sont accompagnés d’une volonté de conserver le rare crocodile nain, menacé par l’altération de ses habitats et la chasse pour sa viande.
Après un passage sous une cascade et un premier bassin où vivent quelques poissons amazoniens, nous pénétrons véritablement dans les grandes serres de la Ferme. L’ensemble couvre 8000m² et est principalement consacré à un important groupe de crocodiles du Nil (Crocodylus niloticus). Les quelque 300 animaux, dont certains de taille très impressionnante, vivent ici dans des conditions qui semblent idéales : grands bassins communicants, terrasses sableuses et boueuses, végétation tropicale, zones de roseaux, plages, cascades. L’ensemble a beaucoup d’allure et permet au groupe d’évoluer sans accrochage, la promiscuité étant un facteur déterminant dans l’équilibre social. Le visiteur évolue sur un ensemble de sentiers et passerelles qui lui permettent d’apprécier les animaux sous de nombreux angles et dans des environnements très différents.
«L’outillage pédagogique » est très varié également : crânes, œufs, reconstitutions de fossiles, peaux, faux guet avec empreintes reconstituées d’herbivores africains, etc.…
Un sentier botanique est également proposé : quelques 650 espèces sont recensées dans la serre. Elles offrent ainsi une véritable ambiance tropicale. Enfin, pour compléter le panorama, une poignée d’espèces d’oiseaux évolue en total liberté avec les grands sauriens :
-Choucador pourpré (Lamprotornis purpureus)
-Calao de der Decken (Tockus deckeni)
-Héron garde-bœufs (Bubulcus ibis)
-Héron strié (Butorides striata)
-Ibis sacré (Threskiornis aethiopicus)
-Tisserin gendarme (Ploceus cucullatus)
-Rollier à ventre bleu (Coracias cyanogaster)
-Touraco violet (Musophaga violacea)
-Pigeon roussard (Columba guinea)
De manière plus marginale, d’autres espèces de crocodiliens sont présentées dans des espaces plus petits mais tout aussi réussis paysagèrement.
Enclos des crocodiles d’Afrique de l’Ouest (Crocodylus suchus). Via l’association, le parc contribue à la création d’une station touristique axée sur cette espèce au Niger. Un projet similaire est également entrepris à Bazoulé au Burkina Faso en collaboration avec la RAMSAR.
Enclos des crocodiles du Siam (Crocodylus siamensis). Trois jeunes de cette espèce très menacée ont été accueillis récemment.
Enclos très vastes des faux gavials de Malaisie (Tomistoma schlegelii), uniques en France. L’un des deux individus est particulièrement massif.
Enclos des alligators du Mississippi (Alligator mississippiensis).
Enclos des crocodiles de Morelet (Crocodylus moreletii), la seule véritable tache dans cette succession de présentation. C’est petit, très grossièrement aménagé et avec un certain mauvais goût (la statue à gauche).
Enclos des caïmans noirs (Melanosuchus niger), également uniques en France, qui cohabitent avec des podocnémides de Cayenne (Podocnemis unifilis).
Le superbe espace en terrasses des gavials du Gange (Gavialis gangeticus). Le groupe arrivé en 2000 représente une collaboration étroite entre la Ferme et le gouvernement népalais qui, ensemble, œuvrent à la conservation de cette espèce menacée. Les six animaux sont les seuls représentants de leur espèce en France.
Tout un coin de la serre sert de laboratoire mais également d’écloserie/ nursery. De nombreux petits y sont visibles en quarantaine. Les crocodiles du parc se reproduisent naturellement et pondent sur les plages mises à leur disposition. Une fois par an, les soigneurs descendent dans les fosses et s’arment de pelles afin de déterrer les œufs et les placer en incubateur. Certains jeunes rejoindront le groupe, d’autres partiront dans d’autres zoos. Il faut savoir que la Ferme a été particulièrement à l’avant-garde de l’élevage des crocodiles du Nil et que de nombreux individus nés ici ont ensuite rejoints d’autres zoos en Europe, à une époque où la reproduction de ces animaux était rare et leur statut de conservation précaire.
La grande nouveauté de l’année 2015 est l’île aux pythons. Ce complexe installé dans une nouvelle serre a permis au parc d’accueillir différentes espèces de serpents, lézards et tortues d’eau douce. De beaux terrariums présentent séparément des serpents ratiers d’Asie (Orthriophis taeniurus) et en cohabitation des pythons sanguins de Malaisie (Python brongersmai) avec des serpents ratiers des mangroves (Gonyosoma oxycephalum). Un dernier terrarium, très décevant, présente quelques pythons birmans (Python bivittatus).
Terrarium des serpents ratiers d’Asie.
Terrarium des pythons birmans.
La pièce centrale de cette exposition sur les serpents est bien sûre la superbe fosse des pythons réticulés (Malayopython reticulatus). Les grands serpents bénéficient d’une installation qui devrait clairement redéfinir les critères de représentation des reptiles en captivité. Cascade, bassins sur plusieurs niveaux, relief et végétation constituent le quotidien de l’espace qui est d’une belle taille et offre ainsi de multiples possibilités d’évolution aux animaux. Les pythons cohabitent avec quelques poissons des cours d’eau asiatiques : poissons-couteaux ocellés (Chitala chitala), scléropages d’Asie (Scleropages Formosus) et gouramis géants (Osphronemus goramy) plus quelques tortues à nez de cochon (Carettochelys insculpta) et des dragons d’eau chinois (Physignathus cocincinus). La cuisine de la Ferme complète cette présentation.
Dragon d’eau chinois dans son environnement, essayez de le trouver !
À noter qu’un deuxième espace similaire était en cours d’aménagement à côté. Il devrait accueillir des espèces sud-américaines actuellement visibles à coté de la nurserie : iguane vert (Iguana Iguana), iguane rhinocéros (Cyclura cornuta), téju noir et blanc (Salvator Merianae) et cette tortue inconnue.
Juste avant de sortir à l’extérieur, ce sont les tortues terrestres de la Ferme qui sont visibles dans leurs quartiers d’hiver. Encore une fois, les enclos sont vastes, bien aménagés même si l’on pourrait rêver une meilleure mise en valeur des trois espèces : tortue géante des Seychelles (Aldabrachelys gigantea), tortue géante des Galápagos (Chelonoidis nigra) et tortue sillonnée (Centrochelys sulcata).
L’espace extérieur de la Ferme aux crocodiles permet à plusieurs espèces de sortir, d’avril à septembre, pendant les beaux jours. Inauguré en 2010, il permet en plus de donner l’accès à la lumière naturelle, essentielle au métabolisme des reptiles, et offre une belle expérience de visite. Les crocodiles du Nil bénéficient du plus grand des enclos, avec cascades, buissons, plages et bassins chauffés à plusieurs niveaux. Alligators et tortues terrestres possèdent aussi leurs enclos extérieurs.
Mais ce parcours, qui est un plaisir pour les yeux, est également l’occasion de découvrir la faune des zones humides de la Drôme et de France. Un enclos pour tortues cistudes (Emys orbicularis), un vaste marais à libellules, des aménagements pour chauves-souris et un centre de récupération pour tortues exotiques ponctuent le chemin de visite. Il est également l’occasion d’aborder le développement durable et les moyens mis en œuvre pour faire fonctionner les serres du parc. Jusqu’en 2012, le site était en effet alimenté en énergie par l’usine d’enrichissement Georges-Besse. La fermeture de cette structure obligea la ferme à se tourner vers la solution d’une chaudière à vois pour chauffer l’établissement.
Le parc s’investit dans la conservation de la cistude, l’une des rares tortues d’eau douce autochtones d’Europe.
La dernière espèce présentée en extérieur est le très rare alligator de Chine (Alligator sinensis). Les animaux, restés invisibles, évoluent toute l’année en extérieur, ce qui les force à hiberner comme dans la nature. Ils bénéficient d’un superbe espace, s’il l’on exclut la reconstitution de maison chinoise douteuse. Enfin, une aire de jeux, un restaurant et une reconstitution d’un sarcosuchus imperator, le plus grand crocodilien préhistorique, complètent le tout.
En entrant de nouveau l’on a l’occasion de voir les dernières espèces du site : gavials et caïmans puis c’est la sortie.
En conclusion : la Ferme aux crocodiles est un parc spécialisé qui a habilement tiré parti de sa spécificité. En innovant continuellement et intelligemment, elle a su renouveler les standards de présentations des crocodiliens et des reptiles tout en demeurant à la pointe dans l’élevage et la conservation de ces magnifiques animaux. Les projets ne manque pas pour l’avenir, il est ainsi prévu de déménager faux gavials et varans crocodiles vers les pythons, dans de nouveaux espaces mais aussi d’étendre l’attractivité du site. Sur ce plan, je pense qu’une ou deux réalisations en extérieur pour oiseaux d’eau européens seraient une bonne idée. L’on pourrait trouver dommage de consacrer autant d’espace et d’argent aux crocodiles du Nil, stars des lieux. Il est vrai, qu’à termes, ils pourraient être remplacés par une espèce plus menacée comme un grand groupe de gavials. Mais il ne faut pas oublier que la population européenne captive de crocos du Nil ne serait pas ce qu’elle est actuellement sans l'action passée du parc dont le concept était alors unique en France. C’est un parc superbe qui mérite davantage d’attention. En espérant que cela vous ait plu, j’attends vos impressions et remarques !
