Conservation du léopard de Java

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Conservation du léopard de Java

Messagepar Therabu » Lundi 24 Août 2020 14:19

L'UICN a publié un premier rapport concernant la stratégie de conservation du léopard de Java (Panthera pardus melas), une sous-espèce classé en danger critique d'extinction.
Sur cette île très peuplée, le léopard a souffert comme toutes les espèces de la perte d'habitat. Mais à l'inverse du tigre qui vivait aussi sur l'île, le léopard est plus adaptable et est parvenu à se maintenir en haut de la chaîne alimentaire.
Désormais, c'est la fragmentation de l'habitat conjuguée aux conflits avec les hommes qui posent un sérieux problème à la survie de la sous-espèce.

La première partie du document tente de documenter l'état des populations. Il semble que le léopard s’accommode aussi bien des savanes, forêts denses ou secondaires tant qu'il y a des proies mais semble absent des plantations, contrairement à ce qui était attendu. Ce constat peut aussi être lié à un faible effort de recherche en comparaison avec les aires protéges.
19 zones suffisamment grandes ont été identifiées et pourraient abriter des populations de léopards mais leur présence n'a pas encore été prouvée partout. Pour l'instant, elle est surtout identifié à l'ouest de l'île tandis qu'au centre et à l'est, d'autres recherches sont nécessaires pour voir si les faibles occurrences sont liées à une rareté réelle ou à un manque de recherche. On estime en tout, que la population est actuellement entre 400 et 550 individus.
Il semble donc qu'il reste suffisamment d'habitat sur Java pour que le plus petit des léopards survive. Là où cela devient plus compliqué, c'est lorsqu'il s'agit d'estimer la viabilité génétique de chaque population. Aucune sous-population ne dépasse les 50 individus. Neuf noyaux sont évalués individuellement avec un seul d'entre eux montrant le potentiel pour héberger une population suffisamment large et diversifiée (Halimun Salak avec une capacité estimée à 135 individus). Pour les autres populations, l'avenir est compromis sans ajout de nouveaux reproducteurs, que ce soit une migration naturelle ou une translocation humaine.
A l'exception de Baluran, tout les sites montrent une capacité d'accueil suffisante pour permettre un agrandissement significatif des populations ce qui confirme qu'il existe suffisamment d'habitat. Toutefois, les plus petites populations restent très vulnérables à des événements que les modèles de projection appelent "stochastiques", c'est à dire des événements aléatoires et imprévisibles. En effet sur une population de quinze individus avec uniquement 5 femelles reproductrices, la perte de chacun de ces individus, notamment en raison d'un conflit homme/prédateur, rend le potentiel de rebond de la population très limité.
L'enjeu primordial est donc la connectivité des morceaux d'habitats restants, afin d'assurer un brassage génétique suffisant et permettre aux sous-populations fragmentées de perdurer. Bien sûr les données sont encore loin d'être complètes, et nombre de réserves sont émises par les auteurs qui appellent à renforcer les efforts de recherche sur le terrain.

Les raisons principales qui donnent lieu aux conflits avec le léopard sur Java sont liées à la destruction/fragmentation de l'habitat et au manque de proie, souvent du à la chasse et à la compétition avec le bétail. Ce dernier, vivant de plus en plus proche du prédateur et étant mal protégé constitue une proie de choix pour ce prédateur opportuniste. LA protection des troupeaux est donc l'un des premiers axes de développement nécessaire pour assurer une cohabitation avec l'homme. Les corridors connectant les zones protégés sont aussi une solution donnant l'opportunité de coloniser des zones nouvelles aux jeunes léopards en recherche de territoire sans rentrer en conflit avec les populations locales. Les captures/relocalisations d'individus problématiques sont aussi à envisager en dernier recours.

Un atelier entier a été tenu sur le rôle de la population captive dans la stratégie de conservation. Au delà du rôle pédagogique, d'autres buts sont retenus pour les gestionnaires d'espaces détenant des animaux en captivité.
Le premier rôle retenu est celui de réhabilitation de courte durée pour les animaux sauvages ayant été capturés ou blessés suite aux conflits. Ce rôle est particulièrement important puisqu'il permet à la fois d'éviter la perte d'animaux jugés problématiques et d'introduire ponctuellement de nouveaux individus dans les populations en ayant le plus besoin. Cette solution nécessite des moyens mais est estimé largement faisable étant donné qu'elle existe déjà à Sumatra pour les tigres. Un tel centre reste encore à construire.
Le second rôle concerne la construction d'une population captive de secours. Actuellement, il existe 46 individus en captivité, dont uniquement 5 en Europe (et une seule femelle au Tierpark Berlin).
Parmi la quarantaine d'individus indonésiens, seulement 11 sont nés en captivité ce qui révèle un potentiel d'individus fondateurs de 28 individus (14 de chaque sexe) ce qui n'est pas parfait mais est loin d'être négligeable. Actuellement, seuls trois mâles ont eu une descendance dans cette population, il est donc urgent que les autres puissent passer leurs gènes. Là bas, les résultats de reproduction sont plus que médiocres. Les raisons avancées sont les suivantes :
- Beaucoup d'individus isolés, et de zoos n'ayant pas la capacité d'accueillir plus qu'un individu.
- Espaces non adaptés à la reproduction
- Individus issus du milieu naturel s’accommodant mal de la captivité ou ayant des séquelles de leur capture
- Manque d'expérience et de volonté à collaborer entre les institutions

D'autres buts accessoires sont identifiés (recherche, pédagogie et entrainement pour les équipes de sauvetage) mais je voulais l'attarder un peu plus sur le rôle de la population ex-situ d'un point de vue européen.
Dans l'état actuel des choses, la population n'a pas d'avenir. Se posent alors deux deux alternatives :
- abandonner l'élevage de la ssp en Europe, renvoyer les individus en Indonésie et aider les parcs à se structurer et collaborer entre eux, à construire des installations adaptées, éventuellement subventionner certains transferts ou installations de réhabilitation.
- ou bien importer de manière urgente certains individus, notamment des femelles, afin de permettre aux trois mâles célibataires de transférer leur patrimoine génétique et construire les bases d'une population viable.

La première solution semble plus simple. Elle a notamment l'avantage de conserver les individus proches de la "source" naturelle. La population captive pourrait régulièrement bénéficier de nouveaux fondateurs avec des individus problématiques que l'on ne pourrait réintroduire. Toutefois, les zoos indonésiens sont encore loin d'avoir atteint les niveaux de professionnalisme et de coopération que nous connaissons en Europe. La montée en compétence des équipes locales et la mise à disposition des moyens ne se font pas d'un claquement de doigt et la situation demande des réponses rapides. De plus, les zoos européens ont déjà du mal à dégager l'espace nécessaire pour d'autres sous espèces de léopards moins menacées mais dont les populations captives sont mieux établies (Sri Lanka, Amour, Perse et Chine du Nord). Les américains ont quant à eux déjà suffisamment de problèmes à ne conserver qu'une seule population viable de panthère de l'Amour.

Toutefois, la seconde solution pourrait être séduisante et plus certaine si suffisamment d’institutions européennes s'investissaient réellement dans la création d'espace pour l'élevage de ce rare félin. Prague, Berlin et Doué semblent prêts à s'investir dans l'accueil d'un ou plusieurs couples, Copenhague est investi dans l'élaboration de la stratégie de conservation sur le terrain... Il reste toutefois des obstacles sanitaires et politiques/douaniers/administratifs à franchir également car ces imports ne sont jamais faciles.

Que ce soit d'une manière ou d'une autre, j'aimerais en tout cas que les zoos européens s'engagent plus sur Java. Les causes et actions de conservation discutées ici pour le léopard sont d'ailleurs probablement aussi pertinentes pour le rhinocéros de Java (isolé à Ujon Kulon, la population n'a plus de place pour croître et est sujet aux catastrophes naturelles), aux bantengs, gibbons, langurs, calaos, sangliers verruqueux, loris et compagnie.
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Re: Conservation du léopard de Java

Messagepar nico » Lundi 24 Août 2020 18:53

Très intéressant, merci beaucoup Therabu.
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