Comment les zoos protègent les animaux menacés

Programmes d'élevage, conservation ex situ, conservation in situ...

Comment les zoos protègent les animaux menacés

Messagepar Philippe » Jeudi 06 Juin 2019 11:35

Panda roux, tamarin, orang-outan... Comment les zoos protègent les animaux menacés

Dans les zoos, les techniques d’élevage des espèces sauvages menacées se sont améliorées. En plus de la conservation ex situ, ils se tournent de plus en plus vers la protection des animaux dans leur milieu naturel. Certaines espèces, comme l’oryx d’Arabie et le tamarin lion doré, ont même été réintroduites.

En janvier 1989, Reporterre publiait un article intitulé « L’arche du troisième millénaire ». À cette époque, le journaliste s’intéressait aux programmes et aux techniques de conservation ex situ — en-dehors du milieu naturel — des espèces menacées, lancés quelques années plus tôt. Trente ans après, Reporterre fait le bilan : ces programmes ont-ils tenu leurs promesses ? Surtout, ont-ils rempli leur objectif ultime, la protection des espèces dans leur habitat naturel et la réintroduction des individus captifs ?


Paris, reportage.

En ce mercredi après-midi, sous le chaud soleil printanier, c’est l’heure de la sieste pour la plupart des animaux de la ménagerie du Jardin des Plantes à Paris. Le binturong, petit mammifère arboricole originaire d’Asie du Sud-Est à l’épaisse toison grise, dort blotti dans sa cabane, indifférent aux groupes d’écoliers qui l’observent avec curiosité. Le tamarin lion doré, un petit singe au pelage roux flamboyant, s’est caché dans les plantes et les buissons qui agrémentent sa cage. Le gaur, le plus gros bovidé du monde, rumine paisiblement. Le martin de Rothschild, un grand oiseau blanc à l’élégant sourcil bleu, reste désespérément silencieux.

Ces différentes espèces ont un point commun : toutes sont en danger dans leur milieu naturel et font l’objet d’un programme de « conservation ex situ ». « La conservation ex situ a été définie en 1992 dans la Convention sur la diversité biologique comme la conservation de la diversité biologique des espèces en-dehors de leur milieu naturel, explique à Reporterre Michel Saint-Jalme, le directeur de la ménagerie, également maître de conférences en biologie de la conservation au Centre d’écologie et des sciences de la conservation (Cesco). Ses outils sont les élevages conservatoires — conduits par les parcs zoologiques — et les élevages de propagation, destinés à produire des animaux pour leur réintroduction dans le milieu naturel. »

« Pour chaque espèce, un coordinateur dresse l’arbre généalogique de tous les spécimens en captivité »

Les zoos européens, via des Programmes européens pour les espèces menacées (EEP), organisent les naissances en captivité pour conserver la meilleure diversité génétique possible. « Pour chaque espèce, un coordinateur dresse l’arbre généalogique de tous les spécimens en captivité, le ‘‘studbook’’, pour remonter jusqu’aux ancêtres sauvages, appelés ‘‘fondateurs’’, décrit M. Saint-Jalme, lui-même coordinateur pour l’oryx d’Arabie, un ongulé asiatique. Puis, chaque année, aidé par un comité d’espèce, il émet des recommandations pour la reproduction et les échanges entre zoos. L’idée est d’égaliser la représentation des gènes de chacun des fondateurs, pour éviter la dérive génétique. »
L’objectif est préserver 90 % de la diversité génétique sur cent ans. Défi atteint pour les orangs-outans de Bornéo qui vivent dans la ménagerie : « On considère qu’il faut entre vingt et cinquante fondateurs indépendants pour conserver 99 % de la variabilité génétique d’une espèce. Aujourd’hui, nos orangs-outans, issus de 70 fondateurs sans liens de parenté, représentent trois ou quatre générations plus tard 98,5 % de la variabilité de l’espèce. »

Le martin de Rothshild n’existe plus dans la nature, victime de trafics

Sur les 150 espèces élevées à la ménagerie, 48 font l’objet d’un de ces programmes. Un maillon d’un vaste réseau : en Europe, 355 zoos répartis dans 44 pays participent à des EEP consacré à 400 espèces différentes. Mais c’est une goutte d’eau face au risque d’extinction d’un million d’espèces dans les prochaines décennies, pointé en avril par les experts de l’IPBES. Pour choisir où concentrer ses efforts, l’Association européenne des parcs zoologiques (EAZA), qui gère les EEP, s’appuie sur la liste rouge établie par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Trois niveaux de menace sont distingués : « en danger critique d’extinction » quand l’espèce a une probabilité de disparaître supérieure à 50 % sur cinq ans, « en danger » pour une probabilité supérieure à 20 % en 20 ans et « vulnérables » pour une probabilité de 10 % de disparaître d’ici un siècle. « Les espèces choisies pour être conservées sont les plus menacées. En France, priorité est donnée aux espèces en danger critique et endémiques – c’est le cas du pétrel de Bourbon, endémique de La Réunion. Ou alors, les plus charismatiques : les grands mammifères, les grands oiseaux », observe Florian Kirchner, chargé d’établir la liste rouge pour la France et les territoires ultra-marins à l’UICN France.

La démarche semble bien rodée. Mais l’histoire de la conservation ex situ n’est pas si ancienne. « Les parcs zoologiques ont explosé après la Seconde Guerre mondiale, mais il s’agissait surtout de lieux de loisirs. Partout dans le monde, des compagnies capturaient des animaux sauvages pour les vendre aux zoos », raconte Michel Saint-Jalme. C’est avec la montée des préoccupations environnementales, dans les années 1970, que les zoos ont dû réfléchir à leur raison d’être.

« Après la signature de la Cites [Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction], en 1973, les zoos n’ont plus pu recourir à la capture et ont donc dû mettre en œuvre des programmes de reproduction. »

En 1972, le fondateur et directeur du zoo de Jersey, Gérard Durell, a organisé une grande conférence au cours de laquelle il a appelé les parcs zoologiques à tenir un rôle plus important dans la conservation des espèces animales menacées d’extinction. Dix ans plus tard naissaient les SSP (Species Survival Plan) américains, suivis en 1985 par les EEP européens.

En plus des programmes d’élevage, les zoos soutiennent des programmes de conservation dans le milieu naturel

Mais à quoi bon conserver des espèces en captivité si elles disparaissent à l’état sauvage ? Depuis le début des années 2000, en plus de leurs programmes d’élevage, de nombreux zoos soutiennent des programmes de conservation in situ, dans le milieu naturel. En 2017, les parcs zoologiques membres de l’EAZA ont consacré 26,8 millions d’euros et 70.000 heures de travail à ces mesures.
À la Ménagerie, de grands panneaux pédagogiques de soutien à la campagne Silent Forest de lutte contre la capture d’oiseaux chanteurs en Asie du Sud-Est ont été installés à côté de la volière des martins de Rothschild. « Cette espèce endémique de l’île de Bali a un chant extrêmement beau. De nombreux individus ont fini en cage dans des jardins et aujourd’hui le martin de Rothschild fait partie des douze espèces les plus menacées dans le monde : il n’y en a plus que 1.500 dans les zoos européens, zéro dans la nature », soupire Michel Saint-Jalme. Outre ces panneaux d’information, la campagne recueille des fonds pour des projets sélectionnés, comme le centre d’élevage Cikananga en Indonésie. « L’EAZA œuvre aussi à la constitution d’un nouveau groupe de spécialistes à l’UICN consacré au trafic des oiseaux chanteurs asiatiques et à un Mémorandum d’accord pour une collaboration plus étroite entre notre association et les ONG Traffic et BirdLife International. Elle mène un travail de reclassement de certaines espèces d’oiseaux pour leur garantir une protection adéquate et dialogue avec les institutions indonésiennes, notamment pour encourager les populations du Sud-Est asiatique à ne pas acheter d’oiseaux chanteurs quand elles ne connaissent pas leur provenance », complète David Williams-Mitchell, directeur de la communication de l’EAZA.


Pauline Kayser, soigneuse des binturongs à la ménagerie, a créé en 2014 sa propre association ABConservation pour l’étude et la protection des binturongs sauvages. « À mon arrivée, en 2011, je ne connaissais pas cette espèce et je me suis vite aperçue que mes collègues non plus. Avec Géraldine Veron, une chercheuse du Muséum national d’histoire naturelle spécialisée dans les petits carnivores, on a réalisé que les seules données provenaient des zoos, qu’aucun recensement n’avait été mené dans le milieu naturel et qu’on ne savait rien de lui, à part qu’il mangeait sûrement des figues ! Nous ne savions même pas s’il était nocturne ou diurne. »
Après plus d’un an d’enquête, l’équipe a dressé en 2015 une nouvelle carte de la répartition de cette espèce en Asie du Sud-Est. Puis, début 2017, elle a lancé un programme d’étude d’une population de binturongs sauvages repérée sur l’île de Palawan, aux Philippines. « Nous avons installé des pièges vidéo au sommet des arbres et obtenu plus de 50 images dès la deuxième année », se réjouit Pauline Kayser.

« On aide aussi les habitants à replanter des vergers communautaires et à installer des ruches »

Prochaine étape, équiper des binturongs de colliers de radio-pistage pour suivre leurs déplacements. « C’est une étape importante qui doit nous permettre d’obtenir des données sur la reproduction et de découvrir les arbres qu’ils aiment et les fruits qu’ils mangent. Sinon, comment savoir quels arbres replanter dans les forêts qui ont été déforestées ? »

Entre-temps, la vétérinaire de la ménagerie Aude Bourgeois a obtenu que le binturong, classé « vulnérable » par l’UICN en raison de la déforestation et de la vente comme animal de compagnie, fasse l’objet d’un EEP. Mais avec cette espèce, la conservation ex situ touche ses limites. Aujourd’hui, l’espèce compte seulement 125 individus en captivité répartis dans 55 zoos qui peinent à obtenir des naissances. « 25 petits nés entre 2003 et 2015 proviennent de la même femelle. Il va être très compliqué d’élever une population viable génétiquement », soupire Pauline Kayser. La conservation ex situ reste néanmoins intéressante : « Ce sont les zoos qui financent les programmes de recherche. Nous avons aussi pu tester les colliers de radio-pistage sur les binturongs d’une réserve, ce qui nous a permis de vérifier qu’ils ne poseraient pas de problème aux animaux sauvages. »

Le zoo de la Boissière du Doré près de Nantes a quant à lui ouvert en 2016 sa propre clinique vétérinaire dans la province de Naceh, sur la pointe nord de l’île de Sumatra en Indonésie. « On a embauché un vétérinaire local qui, assisté par des étudiants vétérinaires français, y soigne des animaux endémiques comme les gibbons, les binturongs, les calaos bicornes, les panthères longibandes, etc. On aide aussi les habitants à replanter des vergers communautaires et à installer des ruches, en les encourageant à protéger leur magnifique forêt », explique Sébastien Laurent, le directeur du zoo.
En outre, le parc consacre chaque année entre 40.000 et 50.000 euros à des programmes de conservation in situ. « Il s’agit d’impliquer nos visiteurs en communiquant sur le fait qu’une partie de l’entrée sert à replanter des arbres à Madagascar ou à équiper des brigades anti-braconnage en Afrique du Sud. Parce que si l’on ne fait rien, dans dix ans il n’y aura plus de rhinocéros en Afrique. »

Car l’élevage ex situ des animaux ne peut pas être une fin en soi et n’a pas vocation à se prolonger éternellement. « Même si on essaie d’éviter la dérive génétique, les animaux les plus adaptés à la captivité se reproduisent davantage que les autres. Cela risque d’aboutir à une sélection involontaire à la captivité. C’est pourquoi les programmes d’élevage ne sont pas destinés à durer 200 ou 300 ans », prévient Michel Saint-Jalme.

« La conservation ex situ est le dernier recours »

L’objectif à ne pas perdre de vue est celui de la réintroduction des animaux dans leur milieu naturel. En 2005, 489 programmes de réintroduction d’animaux étaient menés dans le monde. Une grande majorité concernait des mammifères (172) et des oiseaux (138). Michel Saint-Jalme a travaillé sur la réintroduction de l’oryx d’Arabie, l’espèce dont il est le coordinateur, qui avait totalement disparu de son dernier bastion, Oman, dans les années 1960 : « On a reconstitué un élevage de propagation en Arabie saoudite à l’aide d’individus de zoos. On les a progressivement habitués à retourner dans le milieu naturel et ce n’est qu’à la troisième génération qu’on a commencé les lâchers. » Pour préparer le terrain, une lutte acharnée contre la chasse, principale cause de la disparition de l’oryx, a été menée dans les zones de réintroduction. Aujourd’hui, l’espèce n’est plus classée que « vulnérable » par l’UICN. « Il n’y a même plus de lien entre conservation in situ et élevage ex situ. C’est un modèle de programme qui a bien fonctionné », se félicite le directeur de la Ménagerie.

Le tamarin lion doré, qui ne comptait plus qu’une vingtaine d’individus sauvages dans les années 1970, a vu ses effectifs remonter à 3.000 animaux après un programme de réintroduction réussi mené en collaboration par le Brésil et des zoos américains. Pour autant, il ne faut pas inverser la fin et les moyens, prévient Florian Kirchner. « La conservation ex situ est le dernier recours. De toute façon, elle ne suffira pas car on ne dispose pas d’assez de moyens pour mener des programmes de conservation pour toutes les espèces en danger critique d’extinction – 5.000 dans le monde actuellement. Il faut agir avant, en préservant les populations pérennes dans leur espace naturel et protéger les espaces en créant des parcs et des réserves, parcs et sanctuaires marins. Et surtout, lutter contre les destructions : l’agriculture intensive et ses grandes monocultures arrosées de pesticides à haute dose, l’urbanisation et les grands projets pas toujours pertinents, la surpêche. Arrêtons de détruire, comme ça on n’aura plus à se dire qu’on n’a pas les moyens de tout conserver. »

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Sébastien Laurent (à gauche), directeur du zoo de la Boissière du Doré, a travaillé avec les habitants à la construction d’une clinique pour les animaux sauvages de l’île de Sumatra.

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Selon Michel Saint-Jalme, directeur de la ménagerie, " les programmes d’élevage ne sont pas destinés à durer 200 ans ".
Source : Reporterre.
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Re: Comment les zoos protègent les animaux menacés

Messagepar Vinch » Jeudi 06 Juin 2019 13:33

Il reste un peu plus d'une centaine Martins de Rothschild sauvages, voire moins de 50 selon les plus pessimistes, n'ayant jamais connu la captivité, se trouvant tous dans le parc national de Bali Barat, à Bali. L'espèce n'est donc pas encore EW mais reste quand même CR sur l'échelle de statut de conservation IUCN.
Par ailleurs, il existe au moins 5 populations issues de relâchers d'oiseaux captifs, mais c'est l'échec cuisant, car elles sont toutes lourdement impactées par le braconnage pour le commerce illégal. A peine un millier vivent aujourd'hui en captivité, à travers différents zoos dans le monde.
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Re: Comment les zoos protègent les animaux menacés

Messagepar abel » Samedi 08 Juin 2019 17:32

La suite :wink: :

Élevées en captivité puis relâchées, quand les espèces menacées retrouvent la nature
Emilie Massemin (Reporterre)

REPORTERRE A 30 ANS - À l’instar de l’outarde canepetière, de la tortue cistude ou du gypaète, plusieurs espèces menacées sont élevées en captivité pour préparer leur réintroduction dans la nature. Un exercice délicat, qui suppose une étape indispensable : la restauration de leur habitat naturel.

En janvier 1989, Reporterre publiait un article intitulé « L’arche du troisième millénaire ». À cette époque, le journaliste s’intéressait aux programmes et aux techniques de conservation ex situ — en-dehors du milieu naturel — des espèces menacées, lancés quelques années plus tôt. Trente ans après, Reporterre fait le bilan : ces programmes ont-ils tenu leurs promesses ? Surtout, ont-ils rempli leur objectif ultime, la protection des espèces dans leur habitat naturel et la réintroduction des individus captifs ? Pour relire le premier volet de cette série de deux articles, c’est ici.

Elle virevolte dans sa volière au milieu des touffes d’herbe, avec son plumage marron-beige moucheté de noir. Qu’on ne s’y trompe pas : même si ses voisins de la ménagerie du Jardin des Plantes, pandas roux, orangs-outans et panthère longibande, proviennent de la lointaine Asie, l’outarde canepetière est un volatile bien de chez nous. Cet oiseau des plaines cultivées de France est pourtant lui aussi élevé en parcs zoologiques et en élevage dans le cadre d’un programme de conservation ex situ — en-dehors du milieu naturel — en raison de son très fort déclin dans la nature.

Deux populations d’outardes sont présentes en France : une, migratrice, basée en Poitou-Charente, et l’autre, sédentaire, sur le pourtour méditerranéen. La première a perdu 95 % de ses effectifs depuis les années 1975. Plusieurs programmes se sont succédé depuis la fin des années 1990 pour renforcer la population sauvage et pour que les plaines du Centre-Ouest, rendues hostiles à cause du développement des monocultures et de l’utilisation des pesticides, redeviennent accueillantes pour l’espèce.

« Un premier programme Life de mesures agro-environnementales financé par la Commission européenne s’est déroulé de 1997-2001, suivi en 2004-2009 par la mise en place d’élevages, à partir d’œufs récupérés dans des nids qui auraient dû être détruits », dit à Reporterre Catherine Ménard, coordinatrice du plan national d’action (PNA) pour l’outarde canepetière à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) de Nouvelle-Aquitaine. Ce PNA a pris le relais du programme antérieur de 2011 à 2015, et un nouveau est en cours de rédaction. Ces dernières années, 120.000 euros par an ont été consacrés à l’élevage de l’oiseau, cofinancés par la région Nouvelle-Aquitaine, l’État et le conseil départemental des Deux-Sèvres, et les contrats de mesures agro-environnementales ont été subventionnés à hauteur d’un à trois millions d’euros par an. L’initiative n’est pas isolée : en France, 53 espèces ou groupes d’espèces animales, amphibiens, reptiles, oiseaux, mollusques, mammifères et insectes, font l’objet d’un PNA, avec ou sans programme d’élevage et de réintroduction.

Deux parcs zoologiques se consacrent à l’exercice délicat de l’élevage des outardes qui seront lâchées dans la nature : Zoodyssée (Deux-Sèvres), où demeure une quarantaine d’adultes destinées à la reproduction, et la Réserve zoologique de la Haute-Touche (Indre), géré par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), où se trouve une vingtaine de reproducteurs. Tous sont nés en captivité. « Aucun n’a été capturé », assure Oriane Chevasson, soigneuse à Zoodyssée. La jeune femme est intarissable sur les techniques de reproduction, contrôlées de bout en bout pour maximiser les chances de réussite des lâchers : « Tous les ans, nous composons des groupes reproducteurs en fonction de la génétique et des affinités. Puis les œufs sont incubés artificiellement et nous élevons les poussins nous-mêmes. Dans la nature, une jeune outarde est nourrie par sa mère et a besoin de 250 orthoptères [grillons, sauterelles et criquets] par jour : au début, nous leur donnons la becquée toutes les heures ! »

La difficulté réside dans le fait d’espacer progressivement les nourrissages pour que l’oiseau retrouve son « instinct sauvage » avant le lâcher, à 65 jours : « En 2017, nous nous sommes aperçus que nous ne les rendions pas suffisamment autonomes. L’année suivante, nous avons été plus stricts. Nos protocoles s’améliorent d’année en année. » Deux cents outardes ont été lâchées depuis le début des programmes. Le Centre d’études biologiques de Chizé (Deux-Sèvres), sous la tutelle du CNRS, a identifié le sexe de chacune d’entre elles et les a baguées pour pouvoir les suivre dans le temps.

Reste à rendre le milieu naturel de nouveau accueillant pour les outardes, sans quoi les lâchers ne serviraient à rien. Cette partie-là du programme est prise en charge par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). « On sensibilise les aménageurs de routes, voies ferrées, bâtiments, etc. en leur expliquant qu’il faut préserver les habitats potentiels favorables — ces zones ouvertes et dégagées où l’assolement [un procédé de culture par alternance sur un même terrain pour conserver la fertilité du sol] évolue », explique à Reporterre Cyrille Poirel, en charge des mesures agro-environnementales pour l’outarde canepetière et l’avifaune de plaine à la LPO de la Vienne.

Des expérimentations sont en cours pour éviter que les nids d’outardes, bâtis à même le sol, ne soient détruits lors des moissons ou de la fauche. « Les nids sont extrêmement bien cachés, la femelle reste tapie au sol, sous la végétation : on n’arrive pas à les observer. Pour les détecter, on a testé l’an dernier avec succès l’utilisation d’un drone équipé d’une caméra thermique. Cette année, nous allons élargir ce dispositif à toutes les parcelles enherbées cartographiées. » L’objectif, si un nid est découvert, est d’alerter l’agriculteur et de négocier avec lui d’attendre l’envol des jeunes avant de faucher la parcelle.

Mais l’action principale consiste à contractualiser des mesures agro-environnementales avec les agriculteurs. Le pic de ponte a lieu entre le 15 mai et le 15 juin, suivi de trois semaines d’incubation puis de trois semaines durant lesquelles les petits, qui ne savent pas encore voler, restent vulnérables. Dans les Deux-Sèvres, où l’élevage est très présent, la LPO négocie pour éviter les fauches pendant cette période, la plus critique pour l’outarde, du 15 mai au 31 juillet. « En Vienne, où 90 % des agriculteurs sont des céréaliers, nous proposons aux exploitants de mettre en place des couverts herbacés à vocation faunistique et de ne pas les faucher pendant cette période, dit Cyrille Poirel. Dans ce département où les pesticides sont utilisés en masse et où les oiseaux peinent à trouver de la nourriture, ces couverts présentent aussi l’intérêt d’être plus riches en insectes. »

En échange de cet aménagement, l’agriculteur recevra 500 euros par an et par hectare pendant cinq ans, un montant correspondant au manque à gagner par rapport à une récolte de céréales. « Le plus dur est de convaincre les premiers de se lancer ; ensuite, le bouche-à-oreille fait le succès du dispositif », observe l’animateur de la LPO. À son arrivée à ce poste, il y a huit ans, seuls cinq à dix agriculteurs avaient signé de tels contrats ; aujourd’hui, ils sont plus de 200 : « Nous avons contractualisé quasiment 2.000 des 50.000 hectares de surfaces agricoles de la Vienne ! »

Le protocole de suivi de l’espèce — points d’écoute des mâles en parade nuptiale, chaque année en mai au même endroit — révèle une augmentation du nombre d’outardes depuis 2010, au même rythme que l’extension des mesures agro-environnementales. Car pour Cyrille Poirel, « l’élevage n’a été pensé que pour éviter la disparition des oiseaux en attendant qu’on ait mis en place les couverts herbacés dont l’espèce a besoin pour se reproduire naturellement. Il est extrêmement difficile d’élever des outardes en captivité et de les rendre capables de s’intégrer à la population sauvage, et les pertes sont pour l’instant élevées. Alors, s’acharner à élever des oiseaux pour les lâcher dans un habitat où ils sont voués à disparaître ne sert à rien. »

Ce n’est pas Pascal Orabi, responsable de la mission rapaces à la LPO, qui va le démentir. Chaque année, en mai, il relâche dans le Vercors, les Baronnies et les Grands Causses des jeunes gypaètes barbus nés dans un élevage espagnol. Objectif, créer un corridor entre les populations des Pyrénées françaises (44 couples reproducteurs en 2018) et des Alpes françaises (16 couples en 2018) pour favoriser le brassage génétique au sein de cette espèce menacée de vautour. Mais cette réintroduction est l’aboutissement d’un long travail de préparation du terrain. « Le gypaète a disparu dans les Alpes vers 1935 à cause de la chasse, des empoisonnements et de l’évolution des modes d’élevage. Nous avons constitué un dossier de faisabilité qui intègre tous les critères du territoire : socio-économiques, écologiques, etc. On a identifié les risques physiques, comme les câbles et les éoliennes, cherché les causes d’empoisonnement, évalué la qualité des habitats. »

« C’est la nature sauvage qui va permettre à notre environnement d’être résilient »
Rien ne doit être négligé, car le moindre changement dans les modes d’élevage peut avoir des conséquences dramatiques sur certaines espèces. « En 1981, quand on a commencé à réintroduire le vautour fauve dans les Grands Causses, les éleveurs n’avaient plus le droit de laisser les carcasses des animaux morts sur les estives. Ils les cachaient dans des trous, où les vautours ne pouvaient plus les manger. Il a fallu batailler pour obtenir un arrêté ministériel, en 1998, autorisant les éleveurs de montagne à placer les carcasses sur une placette, à la disposition des vautours. » En 2000, avec le scandale de la vache folle, la réglementation s’est de nouveau durcie. C’est alors au niveau européen que Pascal Orabi a dû défendre un amendement permettant le retour des placettes — une mesure qui a ensuite bénéficié aux gypaètes. « L’enjeu est fort, pas seulement pour les charognards : certaines montagnes ne sont tout simplement pas accessibles aux équarrisseurs, et nous avons alors besoin des vautours pour nous débarrasser des animaux morts avant que les mouches ne dispersent les pathogènes. »

Enfin, une réintroduction menée contre la volonté des habitants est vouée à l’échec. En parallèle des lâchers de gypaètes, la LPO multiplie les opérations de communication : les jeunes lâchés sont baptisés par les enfants de l’école d’à côté, des élus locaux sont désignés comme parrains, la fédération locale de chasse est invitée à participer à des tests de munitions sans plomb pour éviter que les gypaètes ne s’intoxiquent. « Dans les milieux ruraux, il y a cette idée que la nature doit être domestiquée pour ne pas entrer en concurrence avec l’homme, constate Pascal Orabi. Il y a un vrai travail à mener pour faire évoluer les mentalités, car c’est la nature sauvage qui va permettre à notre environnement d’être résilient. »

Pour Roland Simon, directeur de la réserve zoologique de la Haute-Touche, mieux vaut préserver les habitats naturels que chercher à réintroduire. Pour autant :

«La réintroduction a du sens, celle d’une réparation du vivant, dans la mesure où les disparitions d’espèces sont liés à nos pratiques de chasse, nos pesticides, nos routes, etc. »

Outre l’outarde canepetière, le zoo mène depuis 2009 un élevage conservatoire de tortues cistudes, disparues de Savoie à la fin du XIXe siècle. « L’an dernier, 120 jeunes cistudes sont nées. Nous en avons relâché 150 autres dans le lac du Bourget. Leur habitat a été restauré, pour elles et pour les espèces qui l’accompagnent. Tout le monde est convaincu qu’il faut protéger la cistude, parce qu’elle est mignonne et sympa. Mais en la protégeant en construisant par exemple des tunnels pour qu’elle puisse traverser les routes en sécurité, on permet à toute une micro-faune, amphibiens, mammifères… de se déplacer, et on participe de manière bien plus large à la conservation biologique.»


Source: https://reporterre.net/Elevees-en-capti ... rouvent-la
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Re: Comment les zoos protègent les animaux menacés

Messagepar Philippe » Samedi 08 Juin 2019 18:31

Merci Abel !
Concernant les martins de Rothschild, les individus réintroduits semblent donc tout à fait capables de survivre et de se reproduire dans le milieu naturel, l'échec du programme tenant en fait au braconnage.
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Re: Comment les zoos protègent les animaux menacés

Messagepar orycterope » Dimanche 09 Juin 2019 11:36

Merci a vous deux pour ces deux articles tres intéressants !
Je suis très étonné par cette phrase dans le premier :
« en danger critique d’extinction » quand l’espèce a une probabilité de disparaître supérieure à 50 % sur cinq ans, « en danger » pour une probabilité supérieure à 20 % en 20 ans et « vulnérables » pour une probabilité de 10 % de disparaître d’ici un siècle.
j'ai quand même un gros doute sur la probabilité de disparition dur cinq ans des espèces CR, vu le nombre d'espèces en Ce et le temps depuis lequel certaines sont dans cette catégorie.

Le deuxième article est aussi très intéressant, et met bien en lumière deux de nos meilleurs parcs, tout en soulignant que la réintroduction ne fait pas tout mais que la collaboration avec des assos de protection est essentielle.
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Re: Comment les zoos protègent les animaux menacés

Messagepar abel » Dimanche 09 Juin 2019 17:07

Merci à vous deux pour vos précisions !
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Re: Comment les zoos protègent les animaux menacés

Messagepar raphaël » Samedi 15 Juin 2019 21:37

Merci pour ces articles, en effet très complets et riches en cas pratiques.
Les rôles des zoos sont bien présentés dans leur diversité, la réintroduction n'est pas le seul prisme à étudier, l'aide à la conservation in situ est tout aussi importante.

Par contre, à chaque fois que je lis à propos du binturong "petit mammifère", je me dis que cette personne n'a jamais vu un binturong :lol:
Les animaux des zoos sont les ambassadeurs de leurs cousins sauvages. (Pierre Gay)
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