A Besançon (Doubs), le museum de la citadelle est mobilisé pour sauver les lémuriens
Plusieurs espèces rarissimes de ces primates endémiques de Madagascar sont présentées à titre conservatoire au parc zoologique bisontin.
La cage est petite, le sol recouvert de copeaux de bois. Carole Jousset, soigneuse au parc zoologique de Besançon, y pénètre en parlant à haute voix, « pour prévenir Veloma » de son intrusion. Mais Veloma n’est pas là. Elle s’est installée au soleil, dans la partie extérieure de son refuge.
La soigneuse l’appelle, en présentant devant le soupirail un petit plateau composé de céleri, fenouil et quelques pousses de bambou. Après de longues minutes, une petite tête noire et brune apparaît enfin. Ses deux grands yeux marron balayent la cage. Encore une hésitation et Veloma se résout à rentrer, renifle son plat et empoigne sans grande conviction une branche de céleri.
« Elle a été opérée il y a quelques jours. Elle se remet doucement », justifie Carole Josset qui suit avec la plus grande attention l’état de santé de cette femelle grand hapalémur. Et pour cause. Pendant près d’un siècle, la communauté scientifique a considéré que cette espèce de lémuriens avait totalement disparu de la surface de la terre. Jusqu’en 1986, l’année où a été découverte une colonie d’une cinquantaine d’individus dans une forêt primaire isolée de Madagascar. Depuis, la communauté internationale s’est mobilisée pour sauver ce petit primate.
En Europe, Sorja, disparue en avril dernier au muséum de Besançon, a longtemps été le cœur vivant de cette renaissance. « Sur la vingtaine d’individus vivant en captivité en Europe, six sont des descendants directs de Sorja. Et plus de 120 lémuriens sont nés ici depuis 1985 », précise Mélanie Berthet, vétérinaire au muséum.
Spécialisé dans la conservation des espèces menacées, le parc bisontin s’est taillé une solide réputation dans la préservation des lémuriens. Jusqu’à sept espèces rares ont été présentes à la citadelle. Souvent avec d’excellents résultats en termes de reproduction. Prenez le makis varis (une autre variété de lémurien). Et bien, la moitié de la population européenne est née dans la capitale comtoise.
Ce travail de terrain, nourri d’observations quotidiennes, a permis de notables avancées dans la connaissance des petits primates. C’est ici par exemple qu’a été établie, de façon quasi infaillible, une méthode pour connaître les périodes de fécondité des femelles et donc de leur mise bas. Comment ? « En observant la dilatation de leur vulve », indique Mélanie Berthet, qui a également participé avec ses équipes à la mise en place d’un protocole pour nourrir au biberon les propithèques couronnés que leur mère avait tendance à abandonner en captivité. Et il a fallu pour cela mettre au point un lait artificiel, en mélangeant du lait pour bébé, du lait pour chat et de l’eau minérale ! C’est également à Besançon que l’on a découvert que les lémuriens avaient des teneurs en calcium dans le sang anormalement élevées. « Mortelle pour la plupart des animaux, mais que la physiologie du petit primate de Madagascar permet de digérer. »
« La sauvegarde de la nature est vitale pour l’économie malgache »
Ces découvertes ont fait l’objet de publications dans des revues scientifiques ou dans des actes de conférence qui participent à une meilleure connaissance de l’espèce. Mais pas seulement. Les naissances sont essentielles pour la pérennité de ces animaux grandement menacés. « Cela permet des échanges avec d’autres parcs pour éviter la consanguinité », rappelle Mélanie Berthet. Mais aussi de sensibiliser l’opinion à la cause des lémuriens pour récolter des fonds. Car le but ultime est bien de préserver les populations in situ, à Madagascar.
Le muséum de Besançon est donc partie prenante dans trois associations qui œuvrent sur le terrain. Et depuis 2008, ce ne sont pas moins de six missions auxquelles l’institution bisontine a participé. Et il y a urgence. Chaque année, 200.000 hectares de forêt disparaissent sur l’île rouge. À cause notamment de la culture sur brûlis et du pillage anarchique des bois précieux. Conséquence, l’habitat des lémuriens est de plus en plus morcelé. Et les populations éparpillées.
Sur place, le premier travail des ONG consiste à capturer et transporter les animaux isolés vers des secteurs encore préservés, mais aussi à former des Malgaches à la préservation. « On travaille également à la création de pare-feu pour éviter la propagation des feux de brousses qui grignotent la forêt. On essaye aussi de faire comprendre aux populations que les lémuriens sont des espèces rares, uniques au monde, qui peuvent aussi leur apporter du travail. Actuellement, l’une des activités générant le plus de revenus à Madagascar, c’est l’écotourisme. La sauvegarde de la nature est donc vitale pour l’économie », explique Mélanie Berthet. Un discours forcément difficile à faire passer dans un pays où 92 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec moins de 2 dollars par jour et par personne.
Il n’empêche, à l’instar des ours blancs sur la banquise, les lémuriens sont aujourd’hui en péril. Environ un quart d’entre eux sont déjà en danger critique d’extinction. Et la plupart des autres sont sur la liste rouge des espèces menacées publiée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Bref, la situation est urgente. Et si la déforestation continue au même rythme, il n’y aura plus de lémuriens dans moins d’un quart de siècle. C’est pourquoi les ONG environnementales ont décidé de lancer un plan de sauvetage en faisant appel à des fondations privées. Mais sans l’État malgache, qui n’a pas les moyens de mettre la main à la poche pour sauver son principal ambassadeur.
Madagascar, un sanctuaire d'une grande valeur patrimoniale
Madagascar ne constitue que 0,4 % de la planète, mais 20 % des primates s’y trouvent. On y recense aujourd’hui 103 espèces et sous-espèces de lémuriens. De fait, la grande île du sud africain est le deuxième pays au monde pour la diversité des primates après le Brésil, mais le seul à abriter des populations de lémuriens à l’état sauvage. Selon les chercheurs, on serait encore loin de connaître toutes les espèces de ces petits primates qui ont évolué séparément des singes africains depuis des millions d’années.
Source : L'Est Républicain.