Aménager et Enrichir

[Vinch]

Je continue de penser qu'un enclos forestier d'une dizaine de grands arbres pour un groupe de gibbons, avec éventuellement une espèce au sol, genre loutres, ne nécessite pas vraiment d'intervention humaine massive. Idem pour un hectare d'éboulis rocheux dévolus à une espèce de montagne: quel intérêt d'y ajouter des structures d'escalade?

Ce que tu dis là me rappelle une conversation que j'avais eue avec Jan Vermeer, lors qu'il était directeur animalier de La Vallée des Singes.
Nous discussions précisément de l'aménagement de l'Île des Siamangs.
Pour la petite histoire, lors du tout début de la Vallée des Singes, Wim Mager, le fondateur d'Apenheul d'Apeldoorn (NL) avait été sollicité comme consultant, tout comme Jan Vermeer pour l'aménagement des différentes structures extérieures et intérieures des premières présentations, notamment Gorilles, Magots, Saïmiris, Capucins, ... et Siamangs.
Jan et Wim étaient généralement sur la même longueur d'ondes, mais avaient parfois quelques points de désaccord.
L'île des Siamangs comptait de très grands arbres dans lesquels les gibbons pouvaient évoluer et vociférer comme s'ils étaient dans le milieu naturel, et c'était magnifique.
Wim avait imposé de faire installer une structure en forme d'échelle horizontale, de façon à ce que le public puisse admirer les extraordinaires capacités de brachiation des Hylobatidés, et ça permettait également une certaine mise en spectacle lors de l'animation.
C'est là où il y avait désaccord: Jan n'aimait pas trop cette installation, jugeant que les grands arbres, bien pourvus de branches, étaient largement suffisant et que cette structure pouvait déclencher une certaine forme de stéréotypie, car les singes y étaient un peu trop fréquemment à son goût, et exploitaient moins les arbres, et n'aimait pas cette volonté de mettre en scène pour amuser le public, même si cela permettait d'expliquer comment les singes procédaient dans ce mode de locomotion arboricole qu'est la brachiation.
Je ne parle pas d'enrichissement du comportement ici, qui ont toujours été très fréquent, et Jan encourageait beaucoup les soigneurs à inventer chaque jour de nouveaux enrichissements. Je parle juste de l'aménagement des enclos. A de rares exceptions genre cordages sur arbres morts et cette échelle à gibbons, la plupart des enclos de LVDS étaient strictement naturels: pas de faux rochers, pas de palettes, que du naturel !

[Vinch]

Et enfin n'oublions pas, ne pas faire d'enrichissement, c'est aussi parfois faire de l'enrichissement !

En créant un état de manque, c'est ça ? C'est plutôt un peu de la cruauté, non ?

Non, pas un état de manque, l'animal va chercher l'enrichissement, ça va l'occuper aussi. Chez certains, cela peut amener à une frustration mais cela arrive aussi dans le milieu naturel. Au soigneur de ne pas rendre l'animal dépendant de lui, a ce ne sont pas tous es soigneurs qui font tous les jours de l’enrichissement (souvent par manque de temps, je l'admet !).

On est d'accord, GéPé, pourvu que ces situations de frustrations et de manque ne soient pas trop fréquents. Pour ma part, je plaide pour une grande diversité des enrichissements qui varient chaque jour et pour une vraie contribution de la part des soigneurs, je veux dire par là que ce ne soit pas seulement assujetti aux seules idées du responsable animalier ou d'une autre personne qui ne travaille pas tous les jours au contact des animaux.

[raphaël]

Alors du coup okapi nous sommes d'accord, et Vinch décrit aussi bien cette anecdote à Romagne.
Ce dont un enclos naturel et vaste n'a pas besoin, c'est de l'aménagement.
Une vaste prairie, une forêt, des éboulis rocheux se suffisent et permettent d'éviter les piquets et mâts, les cordes ou les tables de pique nique.
ça c'est le permanent, mais même un enclos spacieux et magnifique sera vite connu par l'animal, où il aura ses marques et ses habitudes.
Sur les territoires de Romagne, la végétation change au fil des saisons, il y a des insectes, des petits animaux, des herbes, du vent etc mais il n'y aura jamais comme cela arrive dans la nature un éléphant qui passe, un grand prédateur qui s'approche ou un sanglier qui éventre une termitière. L'enrichissement est toujours utile, il apporte cette variation temporaire et aléatoire.

[okapi]

D'où le "coup de bulldozer", qui reste une image, bien sûr, mais qui permet de bouleverser une topographie de façon inédite et temporaire. Le dépôt de souches ou de troncs modifient et perturbent la perception de l'espace: en fait, c'est ça que je veux exprimer, l'enrichissement à ce niveau-là devient organique, un arbre qui tombe (apporté par l'équipe, évidemment), un trou d'eau qui se creuse et devient une mare imprévue, enrichie de roseaux, de poissons, une butte ou une dépression qui se couvrent de fleurs, l'implantation imprévue d'une zone d'herbes hautes (semées intentionnellement) ou des buissons supplémentaires, tout ce que la nature POURRAIT susciter et transformer, mais sûrement pas des carottes entre deux branches ou un distributeur de cacahuètes!
Je suis à mille pour cent d'accord avec ce refus de mettre en scène l'animal à des fins spectaculaires et je déteste ce principe de manipulation qui consiste à "attirer" les bêtes près des vitres ou des clôtures avec un bassin à fleur de public ou tout ce qui oblige l'animal à s'approcher pour être bien vu du visiteur. Rasons toutes les tables de pique nique, démantibulons les échelles et les pseudo structures d'escalade: rendons les arbres aux singes!

[gibbon]

Merci Vinch pour l’anecdote sur les monkey bars des siamangs de La Vallée des Singes. J’ai très bien connu ce parc dans ses premières années et je trouve que cette échelle était vraiment une très bonne idée. Esthétiquement, je trouve qu’elle s’intégrait bien au paysage boisé de l’île. Ensuite, sur le plan fonctionnel elle était vraiment bien conçue et permettait particulièrement d’apprécier le spectacle magnifique qu’est la brachiation des hylobatidés et également de comprendre plus facilement le mécanisme de ce mode de locomotion que lorsqu’on voit les gibbons se déplacer dans les branches. C’était donc à la fois impressionnant et intéressant sur le plan pédagogique. Je ne trouve pas que cette structure en bois les retenait excessivement ou les stéréotypait. Malgré la présence de l’échelle horizontale, je voyais souvent les siamangs dans les arbres, et également passer d’un arbre à l’autres par les hautes blanches. J’ai constaté avec déception lors de ma visite ce printemps qu’elle n’avait pas été conservée, car elle aurait été parfaite également pour les gibbons à bonnet, et les voir s’y déplacer aurait été super… N’ayant pas visité le parc entre le départ des siamangs et l’arrivée des gibbons à bonnet, j’ignore quand précisément l’échelle a été retirée.

[abel]

Elle n'y était déjà plus en 2011, sauf erreur de ma part.

[okapi]

Nous avons tous bien lu la même chose, hein? Que Jan Vermeer n'aimait pas l'ajout d'une structure artificielle dans un espace déjà très dynamisant pour les gibbons et que cet "agrès" était inutile dans un tel contexte: on a tous bien compris ça, n'est-ce pas? Alors bon, si quelqu'un comme Jan Vermeer exprime doutes et réticences à propos de l'intrusion de telles structures, comment dire...

[gibbon]

Dire tout simplement que l’avis de Jan Vermeer ne représente que lui et pas une vérité absolue, et qu’un autre spécialiste des primates, Wim Mager, a lui au contraire approuvé cette idée. Et il a vu juste, car pédagogiquement c’était très intéressant. Par contre, je te rejoins sur le fait que la base doit être de vrais arbres de grande taille. Plutôt vaste, boisée et comportant de très grands arbres, l’île des gibbons de Romagne est probablement la meilleure île que j’ai vue pour ces primates.