Ellen Merz, 43 ans auprès des singes

Ellen Merz, 43 ans auprès des singes

Messagepar Philippe » Mardi 30 Juin 2015 5:31

Venue en visite comme étudiante en 1972, cette Bâloise n’est plus jamais repartie de la Montagne des Singes. Tout en participant au développement du parc de Kintzheim et à la création de trois autres sites similaires en Europe, elle a dirigé des recherches pionnières sur les macaques de Barbarie, qui continuent de la fasciner.

Ellen Merz se souvient du jour où elle a découvert la Montagne des Singes. C’était au mois de février, il y a 43 ans. Étudiante en biologie à l’Université de Bâle, sa ville natale, elle participait à une excursion organisée par un de ses professeurs. Gilbert de Turckheim et Jacques Renaud, qui avaient co-fondé le parc de Kintzheim trois ans plus tôt, accueillirent le groupe sous la pluie et la neige. « Malgré ces conditions exécrables, j’ai trouvé le lieu fascinant et, quand nous sommes ressortis au bout d’une heure, j’ai immédiatement demandé si je pouvais poursuivre mes études d’éthologie ici. Je voulais m’intéresser à la composition des groupes de singes, à leur répartition dans l’espace, à leur organisation… » , note-t-elle.

Presque tout restait à découvrir, à l’époque, sur ces macaques de Barbarie (ou singes magots). « On savait qu’ils vivaient en groupes dans les montagnes d’Algérie et du Maroc, mais à part ça… » Quelques semaines plus tard, Ellen Merz s’installait à Kintzheim avec une autre étudiante bâloise, louant une chambre au village. « Nous montions jusqu’au parc à vélomoteur ! Je parlais le français que j’avais appris à l’école, un français très littéraire… » Domiciliée à La Vancelle depuis plus de vingt ans, à seulement quinze minutes du parc, elle se dit « ravie » d’habiter et de travailler dans cette région qu’elle a toujours « adorée ». Car de la Montagne des Singes, elle n’est plus jamais repartie. Grâce à elle, le parc animalier est devenu un centre d’expertise de renommée internationale : « Gilbert de Turckheim et Jacques Renaud avaient une expérience pratique, pas une approche scientifique, mais ils ont toujours été ouverts à la recherche. Je suis très bien tombée ! »

« Observer a permis d’améliorer la gestion du parc »

La connaissance du magot étant dès lors placée au cœur de l’activité, la Suissesse a aussi été étroitement associée au développement du parc et à la création de ses avatars successifs : la Forêt des Singes à Rocamadour, en 1974 ; l’Affenberg de Salem, à proximité du lac de Constance, en 1976 ; la Monkey Forest de Trentham, au Royaume-Uni, en 2005. Jusqu’à l’an dernier, Ellen Merz en a assuré la direction générale, s’occupant de la recherche, de l’organisation pratique et de la coordination des parcs, de la constitution d’équipes compétentes…

La surface de leur territoire (24 hectares à Kintzheim), la taille des groupes et leur liberté d’action ont permis de préserver une vie sociale comparable à celle qu’ont les singes dans leur milieu d’origine. La recherche scientifique, comme la présence des humains, n’est jamais intrusive, tout est fait pour une cohabitation sereine, un impact limité. Les singes ne sont jamais sortis de leur environnement pour des tests ou des exercices, par exemple.

Les observations ont été facilitées par la possibilité d’un suivi précis de chaque individu, même s’il a fallu quelques décennies pour observer des vies complètes, la durée de vie variant entre 20 et 30 ans environ.

Les résultats les plus spectaculaires sont venus, dans les années 1980, du parc allemand de Salem, grâce au financement des recherches post-doctorales d’Andreas Paul et Jutta Küster. Pendant sept ans, ils ont pu travailler sur des questions à long terme, comme la socialisation des jeunes singes, le développement différencié des mâles et des femelles, les relations des mâles avec les bébés…

Au fil des années ont également été étudiées les stratégies de reproduction, l’acquisition du rang social, les systèmes de communication, les scissions de groupe, les ruptures dans les hiérarchies, le maintien de la diversité génétique, l’épouillage, les styles d’éducation, le jeu, ce que les singes sont capables de connaître et reconnaître…

« Ce sont toujours des questions identiques à celles que l’on se pose pour les sociétés humaines, souligne Ellen Merz. À Rocamadour, un doctorat a été réalisé sur les vieux singes, leur comportement, comment ils se situent dans le groupe. Récemment, nous avons reçu une demande de photographies pour l’étude des correspondances entre les traits du visage et l’attractivité d’un individu… »

Questions en miroir


Si elle a désormais passé le relais à Guillaume de Turckheim (le fils de Gilbert) à la direction des parcs, Ellen Merz continue de s’occuper de la recherche, étudiant les projets qu’on lui soumet – en provenance du monde entier –, aidant les étudiants et universitaires de passage. À 66 ans, elle ne songe pas à quitter la Montagne de Kintzheim, sinon ponctuellement : « Je vais me remettre à voyager comme je le faisais autrefois, du côté des grands parcs du Kenya, de la Tanzanie, en Asie aussi… Il n’y a pas que les singes ! »

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Pour cette photo, Ellen Merz a accepté de déroger à la règle : « Un scientifique ne nourrit pas les singes. Son but est d’observer de façon neutre. Nous nous devons une intervention minimale. »
Source : L'Alsace.
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Re: Ellen Merz, 43 ans auprès des singes

Messagepar Philippe » Mardi 30 Juin 2015 5:38

Chronique d’une vie de macaque

Les quelque 200 macaques de Barbarie présents aujourd’hui à la Montagne des Singes sont les descendants des 150 individus ramenés du Moyen Atlas marocain en 1969. « Gilles de Turckheim les avait attrapés avec l’aide des Berbères locaux. Ils provenaient de deux groupes différents, mais on ne connaissait pas les relations entre les individus. » Quand Ellen Merz est arrivée en 1972, il y avait trois groupes. Au fil des décennies, des groupes ont été transférés vers les nouveaux parcs. « On transplante toujours des groupes entiers : les singes seraient perdus si on les coupait de leur groupe » , précise-t-elle.

Actuellement, quatre groupes coexistent dans le parc, le quatrième s’étant formé il y a une dizaine d’années par scission d’un des trois premiers. Les scissions se produisent quand le groupe atteint une certaine taille, entre 80 et 100 individus, selon la répartition des mâles et des femelles, les classes d’âges. Les groupes vivant à l’état sauvage ont tendance à compter moins de membres. « Plus le milieu dans lequel il vit est riche, plus le groupe est étendu. »

Affinités électives et stratégies sociales

Au sein d’un même groupe s’établit une hiérarchie, stricte chez les femelles, moins chez les mâles. Il existe par ailleurs de réelles affinités entre individus. « On le voit à l’épouillage entre proches. Cet acte d’hygiène a été ritualisé en récompense, à l’instar des caresses chez les êtres humains. »

Le magot vivant à l’origine dans des montagnes où les hivers sont rudes, les naissances ont lieu du printemps à la mi-juillet. Cette année, une dizaine ont été constatées à Kintzheim depuis début mai. « Mais nous n’avons jamais observé de naissance : elles ont lieu la nuit, dans les arbres. Les singes dorment dans le dernier tiers des conifères, ils y sont quasiment invisibles. Nous avons fait des tentatives avec des caméras ultrasensibles à la lumière résiduelle, mais on ne parvenait pas à identifier les individus. »

Un mâle qui a toutes les qualités physiques pour devenir chef peut échouer faute d’intelligence sociale, de faculté à constituer des alliances. Pendant la période de rut, qui commence en novembre, les mâles dominants se maintiennent ainsi ensemble, face aux jeunes qui poussent. « Ces derniers attendent parfois dans un coin et des femelles viennent discrètement les rejoindre pour copuler, puis repartent tout aussi discrètement… » De même, les subadultes, que les dominants tolèrent près d’eux en période de rut, profitent parfois d’une diversion pour s’accoupler « en douce », quand les autres ont le dos tourné.

Pour assurer la diversité génétique du groupe, il arrive que des femelles aillent s’accoupler à la périphérie, avec des mâles d’un groupe voisin. Les relations entre proches d’une même famille sont interdites : il y a de fait un tabou d’inceste, pour éviter la consanguinité. Les jeunes mâles ont également tendance à quitter le groupe pour rejoindre un groupe voisin.

Les mâles aiment s’occuper des tout petits, en particulier des bébés mâles et des bébés de femelles dominantes. Tous les singes sont attirés vers les bébés, veulent s’en occuper. La mère contrôle ces contacts. « Mais ce qui est apparu unique chez les primates, c’est l’instrumentalisation des bébés par les mâles, qui construisent et entretiennent leurs bonnes relations, leurs alliances, lors de rituels en « triades » (deux adultes, un bébé). Le bébé est comme un cadeau qu’on s’échange, sans lien avec la parenté génétique. »

Le jeu a une fonction très importante : il permet au jeune singe d’acquérir de la force, de nouvelles aptitudes physiques, de perfectionner ses déplacements, sa communication, de se faire des amis, d’explorer le milieu environnant…

Le sens du confort, la mémoire du pays

Les magots ont le sens du confort : ils recherchent par exemple des endroits adaptés à la sieste. La pluie n’a pas l’air de les déranger mais, en hiver, ils se réunissent en cercle de quatre à cinq adultes, tournés vers l’intérieur pour protéger les plus jeunes. Les longs poils d’hiver de leurs dos les protègent du froid.

Étant protégés des prédateurs et de la faim, les singes de Kintzheim meurent de vieillesse. « Quand les problèmes cardiovasculaires appa-raissent, ça ne dure plus très longtemps. La chaleur peut être fatale, à partir d’un certain âge. »

On ne sait si ceux de la première génération qui sont morts en Alsace souffraient du mal du pays, mais ils semblent en avoir gardé la mémoire : lors de la réimplantation de 600 singes au Maroc, dans les années 1980, ceux qui étaient nés là-bas ont ainsi retrouvé des réflexes propres à la vie sur place, comme la manière de soulever les pierres pour attraper des scorpions et comment les manger. Ces anciens ont été un modèle pour ceux qui découvraient l’Afrique…

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Un exemple de « triade » : deux mâles choient un bébé, dans un rituel destiné à entretenir leurs bonnes relations.
Source : L'Alsace.
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Re: Ellen Merz, 43 ans auprès des singes

Messagepar Philippe » Mardi 30 Juin 2015 5:45

À l’école du respect

Jacky Romanello, 59 ans, travaille sur le site depuis 1978. Originaire de Sélestat, il a commencé à la Montagne des Singes comme saisonnier. Aujourd’hui, il est responsable du parc, en charge de la gestion du quotidien, de l’équipe, de l’infrastructure, des aspects techniques.

« J’ai tout appris grâce à Ellen, confie-t-il. Chaque matin, j’ai hâte de voir comment vont les singes, s’il y a des malades, s’ils ont assez à manger… Ce sont des animaux attachants. Mais on évite les contacts trop amicaux. Il faut qu’ils nous respectent, nous considèrent comme leurs chefs. Sinon, nous ne garderions pas la maîtrise de la situation. Les singes n’ont jamais été dressés : on leur a inculqué certaines limites, certains interdits, en reprenant leurs mimiques, leur mode de communication.
Nous avons fait leur éducation et, aujourd’hui, ils nous comprennent. Ils savent ce qu’ils ont le droit de faire. Ils me reconnaissent à ma démarche et savent que je suis le plus ‘‘dominant’’ du parc. Alors, quand ils me voient, ils m’observent, me surveillent, se posent des questions sur le sens de ma présence… Dans leur milieu naturel, ces singes auraient peur des hommes, mais ici, ils y sont indifférents. Ils vaquent à leurs occupations. La présence des visiteurs ne leur manque pas en hiver, par exemple !
»

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Jacky Romanello, responsable du parc de la Montagne des Singes.
Source : L'Alsace.
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Re: Ellen Merz, 43 ans auprès des singes

Messagepar nigousse68 » Mardi 30 Juin 2015 6:43

Merci à toutes ces personnes qui font de cet endroit un lieu très chouette où je retourne tous les ans avec plaisir, la prochaine visite dans quelques jours.
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