Au parc zoologique et botanique de Mulhouse, une lionne d'Asie a donné naissance à quatre lionceaux, un événement rare. Comment soigne-t-on de tels animaux en captivité ? Quels risques courent-ils ? Y a-t-il une utilité à préserver des individus de cette sous-espèce presque éteinte ? Le docteur Brice Lefaux, directeur du parc, répond aux questions de Futura-Sciences.
La naissance de lions d’Asie en captivité est un événement rare. À l’état sauvage, il n’en existe plus que quelque 400 individus, et une centaine dans les différents zoos européens impliqués dans leur sauvegarde dans le cadre des programmes EEP (European Endangered species Programmes).
Sur les deux dernières années, deux parcs zoologiques français peuvent se targuer d’avoir contribué à relever les effectifs des populations sauvages : Besançon (trois lionceaux) et Mulhouse (quatre lionceaux). Le parc zoologique de Mulhouse s’en sort mieux que le zoo de la Citadelle. En effet, à Besançon, deux lionceaux ont été tués par leurs parents. Le troisième a été retiré in extremis par les soigneurs afin d’éviter qu’il ne subisse le même sort. L’infanticide est assez courant dans la nature chez les fauves. Et comme si cela n’était pas déjà assez triste, il y a quelques mois, la femelle Shiva, âgée de 9 ans, a été retrouvée morte dans son enclos emportée par une crise cardiaque.
Au parc zoologique et botanique de Mulhouse, Sita, la femelle, prend soin de ses petits et les veille jalousement. Pour l’instant, les lionceaux n’ont pas encore été mis en contact avec leur père Jetpur, pour éviter qu’ils ne se fassent malencontreusement tuer sous l’emprise d’une saute d’humeur
A l’occasion de ces naissances, j’ai été reçu par le docteur Brice Lefaux, directeur du parc zoologique et botanique de Mulhouse, pour en apprendre davantage sur ces fauves qui, jadis, occupaient une vaste aire de distribution s’étendant de la Grèce antique jusqu’à l’Inde en passant par la Perse, l’Iran d’aujourd’hui.
Le lion d’Asie était quasiment en voie d’extinction en 1907. Il ne restait plus qu’une quinzaine d’individus dans leur milieu naturel. En un siècle de protection totale, leur nombre s’est accru et atteint aujourd’hui un peu plus de 400 individus. Leur territoire actuel (le sanctuaire de Gir) dans l’État du Gujarat en Inde, ne devient-il pas trop étroit ? De nouveaux sanctuaires sont-ils prévus en Inde ?
Effectivement, l’espace commence à manquer car les lions ont besoin de vastes territoires. Une tentative d’introduction a été réalisée en Uttar Pradesh dans les années 1960, mais a échoué. Le Rajasthan ne possède pas suffisamment de proies naturelles. Un nouvel essai devait être tenté dans l’État de Madhya Pradesh, mais l’option d’un second site dans la partie ouest de l’état du Gujarat semble prendre forme.
Avec l’urbanisation et le surpâturage, qui s’ajoutent au manque de proies naturelles, les lions (comme les tigres et les panthères) ont-ils encore leur place dans un pays qui compte plus d’un milliard deux cents millions d’habitants ?
BIl est effectivement difficile de concilier cette cohabitation. Les super-prédateurs ont besoin de se nourrir et posent effectivement problèmes aux villageois qui ne sont pas riches et dont ils attaquent le bétail. Les Indiens vivent depuis l’origine en contact avec les grands fauves et acceptent les prélèvements sur leur cheptel, ainsi que les pertes humaines occasionnelles qui malheureusement arrivent encore. Les habitants de ces régions font partie intégrante des zones de réserves naturelles et les populations humaines doivent continuer à se développer et à se maintenir. Il s’agit de trouver une méthode éco-durable qui permettrait de continuer à gérer cet équilibre hommes-animal.
Le choix de nouvelles zones d’introduction ne risque-t-il pas de provoquer des réticences de la part des populations dont les villages seraient intégrés dans les réserves ? Dans les secteurs où sont maintenus les tigres, les autorités parlent même de déplacer les villageois.
L’évolution de la conservation in situ consiste à trouver des zones refuges sans en retirer l’Homme. L’échec de la tentative de réintroduction dans l’Uttar Pradesh est un parfait exemple des difficultés qui existent à réintroduire un grand prédateur dans des zones d’élevage et de cultures. Le territoire doit pouvoir accueillir suffisamment de proies naturelles pour que les lions ne s’en prennent pas aux troupeaux.
Les configurations géopolitiques sont-elles un frein à l’implantation de réserves dans des pays en conflit où vivaient originellement les lions d’Asie ?
BLa politique n’intervient pas directement dans la préservation des espèces, encore qu’il en faille une pour créer des réserves et faire respecter leurs frontières. Sous la pression des activités humaines, les animaux auront tendance à se retirer dans les zones montagneuses difficilement accessibles pour se préserver. Ce qui est le cas de la panthère de Perse en Iran.
Les parcs animaliers et les zoos deviendront-ils à terme les derniers sanctuaires des lions d’Asie ?
La notion de sanctuaire ou d’Arche est erronée car on ne peut sauver ainsi des espèces. Le but du zoo consiste en la conservation sur une durée la plus longue possible et à être un lieu de découverte. L’essentiel des programmes de sauvegarde consiste en la conservation in situ.
L’élevage en captivité permettra-t-il de conserver l’espèce ad vitam aeternam ?
Pas sur le long terme. La captivité n’a qu’une utilité scientifique en maintenant des populations saines, susceptibles de pouvoir être réintroduites un jour si les moyens nécessaires sont mis en œuvre par les pays concernés, et pédagogique. Le rôle des zoos pour l’instant s’arrête au maintien des espèces le plus durablement possible, pas de les réintroduire.
La reproduction en captivité ne risque-t-elle pas d’entraîner un phénomène de consanguinité ?
Il s’agit de maintenir au mieux la diversité biologique. Le risque de disparition d’une espèce animale est plus grand du fait de l’homogénéité provoquée par l’érosion de la diversité génétique. Celle-ci générera une baisse de la natalité, une moindre qualité du sperme et des gamètes, et fera apparaître des tares. Notre travail dans les zoos, avec la gestion des différents programmes de conservation, est de reculer cette échéance le plus loin possible en essayant de maintenir une diversité génétique de qualité.
Est-ce qu’à un moment donné, il deviendra nécessaire de limiter les naissances et de pratiquer l’euthanasie, comme cela s’est produit au Danemark ?
Nous avons en effet tellement progressé ces dernières années dans la reproduction des différentes espèces animales qu’il y a saturation actuellement dans les zoos pour certaines espèces pourtant menacées dans la nature. Les zoos participant aux programmes européens d’élevage pratiquent donc parfois la reproduction ciblée. On peut contenir les naissances par la contraception ou la séparation des mâles et des femelles lors des périodes de rut. Les professionnels des zoos ne pratiquent pas l’eugénisme et partagent l’attachement que peuvent ressentir les visiteurs envers les pensionnaires. Cependant, l’euthanasie peut malheureusement, dans certains cas, faire partie des moyens utilisés pour la gestion des espèces. Elle est également utilisée pour mettre fin aux souffrances d’un animal parvenu en fin de vie ou gravement malade.
Quelles sont les conditions optimales pour espérer que les lions d’Asie se reproduisent ?
Les principales exigences sont la nutrition, la santé d’ailleurs aussi bien le bon état physique et mental des animaux, ainsi que l’aménagement de l’enclos et les conditions d’hébergement. Il faut impérativement éviter la frustration et l’anxiété aux animaux. Afin de leur éviter l’ennui, nous mettons en place des « animations » appelées « enrichissement du milieu », du type pistes d’odeurs, ballons ou autres objets sur lesquels ils peuvent se défouler. Nous repérons rapidement les individus adoptant des troubles du comportement ou devenant neurasthéniques. Ce n’est pas le cas de Sita, la lionne, qui semble parfaitement épanouie entourée de ses quatre lionceaux.
Les lions bénéficient-ils d’un régime alimentaire particulier ?
Nous les nourrissons essentiellement de viande blanche. En moyenne entre 1 à 3 kg par jour. Ils reçoivent également de la viande rouge mais en moindre quantité, car un apport de protéines trop important peut être nuisible au bon fonctionnement des reins. Les fauves doivent néanmoins respecter un jeûne hebdomadaire de deux jours afin de leur éviter des troubles stomacaux. En effet, dans la nature, les lions ne mangent pas quotidiennement, mais lorsqu’ils tuent une proie, ils engloutissent de grosses quantités de viande en une seule fois. Ils ont besoin de laisser reposer leur estomac avant de se nourrir à nouveau.
De quels types de soins ont-ils besoin ?
Nous pratiquons régulièrement des prélèvements coprologiques afin de les analyser et procédons à des vermifuges ou à des vaccinations lorsque cela s’avère nécessaire. L’examen de la dentition se fait visuellement. Nous n’intervenons que si l’animal manifeste des problèmes d’alimentation. Les maladies les plus fréquentes chez les fauves sont le typhus, la rage, la leucose et le coryza. Ils sont donc systématiquement vaccinés contre ces zoonoses. L’hygiène des cages et des enclos est primordiale également.
Les lionceaux ont-ils déjà trouvé un lieu d’accueil lorsqu’ils seront en âge de vivre sans leur mère ?
Nous savons souvent immédiatement dans quel parc seront placés les jeunes de certaines espèces rares, mais pour l’instant nous n’avons pas de lieu d’accueil pour les lionceaux. Bien que le comportement de la mère nous incite à le croire, et nous l’espérons, rien ne dit que les quatre survivront.
Est-il envisageable de remettre dans la nature des fauves élevés en captivité, comme cela se pratique pour d’autres espèces ?
La réponse est négative. Le félin extrait d’un zoo est trop imprégné de la présence humaine pour être relâché dans la nature. Il s’en prendrait automatiquement à l’homme qui l’a nourri. Il faut le déshabituer sur une ou deux générations, et s’assurer qu’il ait bien acquis un comportement naturel, et sache choisir les bonnes proies. Dans le cas du lion d’Asie, les cerfs sambars ou axis, voire de jeunes buffles d’eau. La mission du parc zoologique et botanique de Mulhouse est la conservation des espèces. Le parc fut l’un des premiers zoos européens à se préoccuper d’élever « ex situ » des espèces menacées. La préoccupation des responsables de l’établissement n’est pas d’héberger une espèce susceptible d’attirer beaucoup de visiteurs, mais d’héberger une espèce dont la sauvegarde nécessite une conservation en captivité.
Source : http://www.futura-sciences.com/